28 Janvier 2018
Le président de la République n’a pas réussi le coup médiatique qu’il espérait en allant souhaiter la bonne année aux paysans sur monts d’Auvergne après son voyage à Davos. A en juger par certaines réactions, il a même davantage inquiété la profession qu’il ne l’a rassurée.
En Auvergne, la couverture médiatique des vœux d’Emmanuel Macron au monde » paysan a été assez faible. Des inondations aux gardiens de prison, il y avait de quoi faire ailleurs. Le président de la République a dit dans le Puy-de-Dôme que « l’agriculture est une des clés de notre avenir » avant d’ajouter qu’elle « est à la croisée des chemins ». Voilà qui est trop banal pour être clair. Il a aussi ajouté que « certains agriculteurs vivent avec 200 ou 300€ par mois. Chaque agriculteur doit être rémunéré au juste prix payé. Ils ne demandent pas des aides mais de ne pas être le seul secteur où la vente à perte est devenue la règle», a-t-il martelé.
Emmanuel Macron était-il sincère hier en disant cela ? Si c’est le cas, il ne s’agit chez lui de la même sincérité qu’il y a dix ans. Il demandait alors dans la « décision 203 » du rapport qu’il a rédigé pour la Commission Attali de « lever interdiction dite de revente à perte » avec l’argumentaire suivant : « La revente à perte n’est en général qu’un prix de connivence entre certains producteurs et certaines grandes surfaces. Les activités de commerce et de distribution doivent être traitées selon le droit commun de la concurrence, comme les autres activités économiques et conformément aux principes en vigueur au sein des pays de l’OCDE ». Ce qui, les importations abusives aidant, aboutit à faire de sorte que certains agriculteurs vivent avec 200 ou 300€ par mois quand ils ne travaillent pas à perte.
Les choses vont-elles changer bientôt ? A propos de la charte de bonne conduite signée en novembre pour moraliser le comportement des négociateurs de la grande distribution face à leurs fournisseurs dans la négociation annuelle sur les prix, Emmanuel Macron a déclaré en Auvergne : « Je n’ai pas le sentiment que cette charte soit respectée. Nous sommes très clairs : s’il n’y a pas de changement dans les dernières semaines de négociation, nous allons nommer et dire qui fait quoi».
Cela suffira-t-il pour faire trembler les patrons d’Auchan, Carrefour, Casino et Leclerc ? Ceux là n’ont pas oublié ce qu’écrivait Emmanuel Macron en 2008 dans ce même rapport de la Commission Attali pour leur donner le pouvoir de piller leurs fournisseurs via la Loi dite de modernisation économique que le gouvernement Fillon fit voter. Sous le titre « Instaurer la libre négociation des conditions commerciales », Macron écrivait alors : « Il convient d’instaurer la liberté des négociations commerciales entre distributeurs et fournisseurs. C’est pris dans son ensemble que ce dispositif pourra livrer tout son potentiel de croissance (…) La puissance de marché des opérateurs sera alors mise au service de prix plus bas aux consommateurs». Voilà aussi pourquoi trop de paysans vivent avec 200 à 300€ par mois, ce qu’Emmanuel Macron fait mine de déplorer aujourd’hui.
Mais les choses pourraient encore empirer. Selon la Fédération nationale bovine (FNB) de la FNSEA, Emmanuel Macron a annoncé hier à Saint-Genès-Champanelle dans le Puy-de-Dôme, un accord imminent de libre échange entre l’Union Européenne et les pays sud américains du Mercosur dont font notamment partie le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay. Un tel accord se traduirait par d’importants volumes de viande bovine importés par l’Europe sans droits de douanes et, qui plus est, dans les morceaux nobles. Ces importations s’ajouteraient à celles déjà accordées au Canada avec la signature du CETA. De quoi faire encore baisser des prix déjà trop bas en France!
Selon Bruno Dufayet, président de la FNB et éleveur de bovins à viande de race salers dans le Cantal, « cette décision » consistant à signer un accord de libre échange avec le pays du Mercosur, « est aussi incompréhensible que dangereuse pour notre filière. Nous déplorons l’incohérence totale dont fait preuve le gouvernement qui déclare, dans le même temps, vouloir valoriser le modèle d’élevage français durable, herbager, vertueux, aux garanties incomparable sur le plan sanitaire et efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique et importer de façon massive des viandes répondant aux standards opposés ».
Ce syndicaliste paysan a entièrement raison. Mais il faut voir qu’il s’agit là du « en même temps » que le président de la République nous sert tout le temps. Il est à craindre que les effets dévastateurs de cette politique au service exclusif des firmes capitalistes et des grandes fortunes n’en soient qu’à leur début.