7 Septembre 2018
Communiqué de la Fédération des Finances CGT
et du Syndicat CGT des Finances publiques.
Le 5 septembre 2018
PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE, VERS UN SUICIDE FISCAL COLLECTIF SANS CRÉATION IMMÉDIATE D’EMPLOIS AUX FINANCES PUBLIQUES !
Dans un exercice alternant mensonges et promesses racoleuses, le Premier ministre a essayé de lever les doutes des français sur le prélèvement à la source. En effet, ces derniers jours, au fur et à mesure que le voile d’ignorance se levait sur ce dispositif, les craintes et les oppositions à la mise en place du prélèvement à la source ont augmenté. Prenons deux exemples du discours d’Edouard Philippe.
« Un gain de trésorerie pour les mensualisés actuels », c’est Faux !
« avec le nouveau système on sera prélevé à la fin du mois sur douze mois et non au milieu du mois sur dix mois ». Ce qui représente pour lui un gain de trésorerie pour les ménages. Payez son impôt 11 mois et demi plus tôt, présenterait donc un gain de trésorerie ? Étrange conception économique ! En effet, aujourd’hui pour un salaire perçu au 31 janvier 2017, on payait l’Impôt correspondant au 15 janvier 2018 donc 11 mois et 15 jours plus tard. En 2019, pour un salaire perçu au 31 janvier 2019, on payera l’impôt au 31 janvier 2019.
D’autre part, prendre pour argument un prélèvement par douzième plutôt que par dixième est ridicule. Dans le cadre de la mensualisation automatique il était évidement possible de l’appliquer sur douze mois.
Dans la série demain on rase gratis « un acompte de 60 % sur certains crédits d’impôt »
Comment rendre encore plus bancal un système déjà ultra-complexe et qui ne tient pas debout. Évidemment, contrairement à ce qu’avance le Gouvernement, l’énorme gain de trésorerie attendu ne sera pas pour les contribuables mais pour l’État !
En 2019, on devra donc payer l’impôt en même temps que nous percevons nos revenus. Mais, quand l’État devra nous verser une réduction ou un crédit d’impôt, il pourra bien attendre un an pour le faire. La ficelle étant trop grosse, il y aura un dispositif dérogatoire pour quelques crédits d’impôt (en fait pour une petite minorité), les contribuables ayant déjà bénéficié de ces crédits d’impôts bénéficieront d’un acompte doublé hier et porté à 60 % du montant accordé l’année précédente.
Premièrement, tous les crédits d’impôts ne sont pas visés et ce sont encore les plus riches des contribuables les mieux servis notamment les investisseurs dans l’immobilier.
En outre, cette mesure va générer pour un grand nombre de contribuables des reprises d’impôt à posteriori. Par exemple, un contribuable ayant un enfant à la crèche en 2017 et scolarisé à compter de septembre 2017 aura bénéficié d’un crédit d’impôt à ce titre. Il va donc bénéficier d’un acompte de crédit d’impôt en 2019 alors qu’il n’a plus de frais de garde d’enfant depuis septembre 2017. Le réveil sera difficile à l’automne quand il devra le rembourser.
Les voyants techniques sont au rouge
La complexité technique de la mise en place du prélèvement à la source a été largement sous-estimée. Faire coexister des fichiers différents et les rapprocher n’est pas sans risque. Les informations en provenance des services nous démontrent que de nombreux bugs ne sont pas résolus et ne pourront pas l’être à l’échéance du 1er janvier.
Un système complètement inadapté à la société française
La conjugalisation et la progressivité du système fiscal français rendent très compliqué la mise en place du prélèvement à la source en France. Les évolutions sociétales, prolifération des contrats courts, changements plus fréquents dans la vie personnelle des contribuables sont autant d’éléments rendant plus aléatoire la fiabilité du système. De même, la prolifération des niches fiscales est un facteur d’erreur et de rectification extrêmement important.
Le prélèvement à la source est une modalité de prélèvement d’impôt totalement archaïque et de plus en plus décrié dans les États où il a été mis en place pour certains, il y a presque un siècle ! Vous avez dit moderne ?!
Combien d’argent perdu pour l’État ?
Le fait d’ajouter un tiers collecteur va immanquablement faire chuter le taux de recouvrement. Si on se réfère en terme de comparaison aux difficultés de recouvrement de la TVA déjà collectée par les entreprises, l’État pourrait perdre 8 milliards d’euros de recettes fiscales.
Quoi qu’il en soit le prélèvement à la source est une usine à gaz infernale où les contribuables auront énormément de mal à s’y retrouver. Les plus fragiles seront les principales victimes puisque dans le nouveau système on payera d’abord et on devra contester ensuite les sommes prélevées.
Plus que jamais, les services des Finances publiques, déjà ponctionnés de plus de 30 000 emplois ces dix dernières années, ont besoins de milliers de créations de postes en urgence si l’État ne souhaite pas que le prélèvement à la source tourne en fiasco total.
C’est la fin d’une longue histoire. Depuis mardi 4 septembre, on a beaucoup dit que le prélèvement à la source était une première en France. C'est oublier un peu vite qu'entre le 1er janvier 1940 et le 1er janvier 1949, le prélèvement à la source a été une réalité en France. Cela s'appelait le "stoppage à la source", il avait été mis en en novembre 1939.
"Le stoppage à la source" avait été institué parce qu'il fallait financer l''effort de guerre. Et puis l’impôt était récent – il datait de 1914 – et l’administration fiscale n’était pas très efficace. Il permettait aussi de généraliser un impôt payé par seulement 15% des foyers fiscaux avant sa mise en place. Il fallait donc trouver une solution d'urgence, dans un contexte de besoin lié à la guerre.
En 1948, on a mis un terme au stoppage à la source pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il s'agissait d'une mesure qui était liée au régime de Vichy, même si votée quelques mois avant . Ensuite, parce qu’à l’époque, l’État se consolidait, il était omniprésent dans l’économie, et il pensait être en mesure de prélever l’impôt. Et puis la déclaration d'impôt relevait à l'époque d'une dimension presque philosophique, elle était quasiment perçue comme une déclaration d'amour à la patrie. C'est un geste symbolique fort. Enfin, puisque deux tiers des actifs étaient salariés au début des années 1950, l'impôt sur le revenu permettait de prélever l'impôt de tous les Français de la même manière.
Malgré cette disparition en 1949, on va souvent avoir envie d'y revenir. Il était quand même plus simple et plus efficace de prélever à la source, surtout avec le triomphe du salariat. À partir du début des années 1960, les trois quarts des Français sont salariés et cette donnée progresse sans cesse. Mais de nombreuses tentatives de retour du prélèvement à la source ont échoué.
En 1973, un jeune énarque, centriste, ministre des Finances, défend cette mesure, qui permettrait de rompre avec "une fiscalité extrêmement démodée". Il s'agit de Valéry Giscard d'Estaing. "Tous les pays modernes sans exception, même l'Union soviétique, pratiquent la retenue à la source. Je suis persuadé que quand ce système sera clairement expliqué aux Français, ils seront en très large majorité favorable à ce dispositif."
Selon Valéry Giscard d'Estaing, c'était donc une mesure de bon sens. Et pourtant, quelques mois plus tard, le parlement a enterré ce projet, notamment parce que l’administration fiscale s’y est opposé craignant pour l'avenir des milliers de salariés préposés aux déclarations d'impôt. Autre raison de cet abandon : la crainte, déjà, de l'effet psychologique sur la consommation, au moment précis où la crise pétrolière (et bientôt la crise tout court) venait casser les Trente glorieuses, dont le moteur était précisément la consommation.
C’est d’ailleurs cet argument qui a failli tuer l’impôt dans les jours qui ont précédé l’annonce d’Edouard Philippe mardi 4 septembre. 70 ans après sa disparition, le prélèvement à la source est donc de retour en France.