26 Octobre 2018
« Si cette aciérie n'a pas de solution de reprise, ce ne sont pas les 281 emplois d'un site qui sont en jeu, mais potentiellement 2 000 salariés directs dans les Hauts-de-France »
explique Philippe Verbeke, responsable de la filière sidérurgique à la FTM-CGT. C'est dire l'importance de la décision qui sera examinée par le TGI de Strasbourg ce 24 octobre.
Effet domino pour 7000 à 8000 emplois
En janvier 2017, Vallourec décide de se dessaisir de l'aciérie de Saint-Saulve. Elle devient propriété d'Ascométal à 60 %, Vallourec gardant toutefois les 40 % restants.
Un an plus tard, le Suisse Schmolz + Bickenbach reprend le groupe Ascométal, mais l'aciérie de Saint-Saulve n'est pas intégrée à l'opération de reprise. Depuis janvier 2018, elle se retrouve en redressement judiciaire, cependant qu'elle alimente encore le site des Dunes (ex-Ascométal devenu Schmolz + Bickenbach) près de Dunkerque (500 emplois), lequel fournit deux autres sites nordistes du groupe MG Steel : l'usine de roues et essieux ferroviaires de Valdunes à Dunkerque et celle de Trith-Saint-Léger.
Au total, on peut ainsi dénombrer 7 000 à 8 000 emplois dans les Hauts-de-France, dont le sort est lié à l'aciérie de Saint-Saulve.
Vallourec encaisse les aides et investit… en Chine
Comment en est-on arrivé là ?
En 2016, Vallourec ferme le laminoir de Saint-Saulve (190 emplois) dans le Nord et celui de Déville-lès-Rouen (180 emplois) en Seine-Maritime. Dans le même temps, le groupe se restructure et lance une opération de recapitalisation, notamment auprès de l'État français, qui était déjà actionnaire du groupe.
Avec la bénédiction d'Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, il obtient 250 millions d'euros pour se recapitaliser. Au printemps 2016, environ 1 000 emplois (sur 5 000) sont supprimés en France, tandis que le groupe prend discrètement le contrôle total de Tianda Oil Pipe, une entreprise localisée en Chine, en y injectant 175 millions de dollars.
« Vallourec a amorcé la destruction de capacités de production, tout en bénéficiant des aides publiques de l'État français pour aller investir en Chine ! »,résume Philippe Verbeke.
Un repreneur sérieux
Quelques mois après ces opérations chinoises, Vallourec décide de se dessaisir de l'aciérie de Saint-Saulve.
C’est alors qu’elle devient propriété d'Ascométal à 60 % et est rebaptisée « Ascoval ». Dix mois après sa mise en redressement judiciaire, la procédure arrive à son terme. Deux repreneurs sont aujourd'hui sur les rangs : l'Iranien Boost, qui construit des gazoducs, et le jeune groupe franco-belge Altifort, qui a récemment racheté des activités de tréfilerie en France, et dont l'offre de reprise de l'aciérie de Saint-Saulve porterait l'effectif de l'entreprise de 281 à 414 salariés.
Une négociation où l'État a toutes les clés
Au vu, notamment, des problèmes géostratégiques qu'impliquerait une reprise par une entreprise iranienne potentiellement ciblée par les sanctions américaines, la solution du franco-belge Altifort semble aujourd'hui avoir les faveurs du gouvernement. Cependant, une transition doit être assurée dans les commandes, pour que l'aciérie de Saint-Saulve puisse continuer à produire.
Actuellement, un contrat commercial engage Vallourec pour des commandes à un prix avantageux par rapport au marché. Altifort demande qu'il soit prolongé de 18 mois dans les mêmes conditions.
Bercy a engagé des négociations avec Vallourec qui doivent impérativement aboutir avant l'audience du 24 octobre.
Pour la CGT, un échec de la négociation est inacceptable
Alors que Bruno Le Maire a récemment laissé entendre que la négociation serait difficile, le message suscite la colère des salariés et des syndicalistes. D'abord, parce que « l'État est encore actionnaire de Vallourec à 16 % », mais surtout parque « le groupe a bénéficié en dix ans de 700 millions d'aides publiques au travers de deux capitalisations, du CICE, du crédit impôt recherche, etc.
Entendre que la négociation échouerait au prétexte que c'est difficile et que Vallourec est en difficulté est inacceptable », s'insurge le leader syndical.
La fédération CGT métallurgie ne saurait imaginer une issue autre que positive à ce dossier et à cette négociation, compte tenu des conséquences dévastatrices qu'ils entraîneraient.
« Il faut que l'État prenne ses responsabilités, car affaiblir la sidérurgie, c'est affaiblir toute l'industrie », ajoute Frédéric Sanchez, secrétaire général de la FTM-CGT.
De Saint-Saulve à Florange
Outre le dossier de l'aciérie de Saint-Saulve (59), la question de la sidérurgie va prochainement revenir sur le devant de la scène avec la fin de la « mise sous cocon » des hauts fourneaux de Florange (57).
En 2012, un accord entre le gouvernement et Lakshmi Mittal prévoyait l'arrêt provisoire de l'usine pour cinq ans. Celui-ci arrive aujourd'hui à échéance et la CGT entend bien remettre la question sur la table.
Alors que la France a anéanti une part importante de ses capacités de production, investir dans les nouvelles technologies pour le retraitement du CO2, ou encore dans des aciéries électriques pour l'intérêt qu'elles représentent en termes d'économie circulaire est aujourd'hui à l'ordre du jour.
Le 23 novembre prochain, la CGT envisage des initiatives localement pour exiger la relance de la sidérurgie.
Sans attendre les salariés de Saint Saulve agissent
L'action menée par une trentaine de salariés se déroulait sans heurts, ont constaté des journalistes de l'AFP, avec feux de pneus allumés devant les entrées du site. Une centaine de salariés d'Aulnoye-Aymeries, qui devaient prendre leur poste à 6 heures, attendaient dans le calme devant l'entrée principale.
« C'est un blocage complet du site, personne ne rentre. L'idée, c'est de mettre la pression sur Vallourec alors qu'il y a une réunion aujourd'hui à Bercy »
sur l'avenir de l'aciérie, a déclaré Nicolas Lethellier, délégué CGT de Saint-Saulve.
Jusqu'à présent, « on a été professionnels, dignes », mais « donéravant, Vallourec, on va l'étouffer », avait prévenu dès mardi Bruno Kopczynski, porte-parole de l'intersyndicale d'Ascoval.
Solidarité des employés du site d'Aulnoye
« On est plutôt solidaires de ce qu'il leur arrive. Il y a des craintes tout autour de nous, il y a des restructurations, comme nous le rappelle la mondialisation tous les jours », a déclaré Dany, qui travaille à la tuberie d'Aulnoye depuis 14 ans.
Selon lui, Ascoval est le principal fournisseur de tubes et barres d'Aulnoye, où il y a aussi un centre de recherche.
Devant le site de Vallourec, ce vendredi matin, Cédric Henry, délégué FO de la tuberie d'Aulnoye-Aymeries (220 salariés), se disait « solidaire » de ses camarades d'Ascoval.
« À mon avis, on sera les prochains. Mon sentiment, c'est que Vallourec ne veut plus d'usines en France », déplore-t-il.
Réunion de travail à Bercy
Le groupe Altifort, basé dans la Somme, demande au sidérurgiste français Vallourec, principal client et premier actionnaire, de maintenir pendant un an et demi son niveau actuel de commandes.
Or, Vallourec, spécialiste des tubes en acier sans soudures et dont l'État est actionnaire à 17 %, a refusé en début de semaine cette demande, qu'il juge « contraire à la préservation (de ses) intérêts », suscitant la colère des syndicats et des élus locaux, notamment Fabien Roussel député communiste.
La secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, Agnès Pannier-Runacher, qui s'est rendue dans le Nord mardi, réunit l'ensemble des acteurs du dossier ce vendredi à Bercy pour étudier « point par point ce dossier de reprise » et « voir si Altifort peur aller jusqu'au bout du projet ».
Aucune décision gouvernementale sans expertise indépendante
Mais le gouvernement, avant de prendre toute décision sur un éventuel soutien public, a annoncé jeudi soir qu'il demandait un avis indépendant sur la situation économique d'Ascoval.
Le cabinet Roland Berger doit ainsi « rebalayer » tout le dossier. Une initiative jugée bien trop tardive par les syndicats « à quelques jours de la mort d'un site », selon les mots de Bruno Kopczynski, pour qui « le gouvernement réagit dans la panique ».
L'aciérie de Saint-Saulve, qui compte 281 employés, est menacée de disparition depuis la liquidation judiciaire en février de son principal actionnaire, Ascq Industries. La justice lui a accordé mercredi un sursis de deux semaines.