3 Janvier 2019
Casser le thermomètre plutôt qu’éradiquer la fièvre. En publiant un décret qui accentue les sanctions à l’encontre des demandeurs d’emploi, le gouvernement ne pose plus de limites dans sa volonté d’accroître les radiations et d’obliger à accepter des jobs précaires.
L’année 2019 est placée sous le signe d’une répression inédite des chômeurs. Lors de ses vœux aux Français, Emmanuel Macron a une nouvelle fois visé les privés d’emploi soupçonnés d’oisiveté. « Le gouvernement dans les prochains mois devra poursuivre ce travail pour changer en profondeur les règles de l’indemnisation du chômage afin d’inciter davantage à reprendre le travail. » Un jour plus tôt, un des décrets d’application de la loi avenir professionnel publié au Journal officiel a révélé un durcissement inédit des sanctions à l’encontre des demandeurs d’emploi. Comme si les mesures régressives présentées en mars dernier par le ministère du Travail ne suffisaient pas, le pouvoir a décidé de monter d’un cran encore dans la criminalisation. Au début, le fait de ne pas se rendre à un rendez-vous avec son conseiller Pôle emploi devait être sanctionné de quinze jours de radiation des listes au lieu des deux mois aujourd’hui. Finalement, ce sera un mois de radiation selon le décret, deux mois au bout de deux manquements et quatre mois au troisième. Suivant la petite phrase du président de la République sur les chômeurs qui n’auraient qu’« à traverser la rue pour trouver un travail », ceux-ci sont mis sous pression pour faire baisser les statistiques.
Ainsi, l’insuffisance de recherche d’emploi comme le refus à deux reprises de deux offres raisonnables d’emploi vont être sévèrement sanctionnés. Dans un premier temps, le gouvernement avait évoqué des sanctions graduelles : suspension de l’allocation d’un mois la première fois, de deux mois la deuxième fois et de quatre mois la troisième fois. L’allocation devait être diminuée dès la deuxième fois. D’après ce décret, l’allocation est supprimée dès le premier manquement et non « suspendue » – ce qui permettait de conserver ses droits. « Le gouvernement est dans une logique d’amalgame entre le 0,4 % de fraudes et l’ensemble des demandeurs d’emploi », déplore Denis Gravouil, en charge des questions d’emploi à la CGT.
Selon une étude publiée par Pôle emploi, 8 % des chômeurs indemnisés contrôlés ne chercheraient pas activement un travail. « Cela représentait déjà 550 000 motifs de radiation par an en 2017 et, comme le gouvernement est monté en pression sur cette question, ce chiffre a encore augmenté, explique Tenessee Garcia, secrétaire général de la CGT chômeurs. Ce critère d’insuffisance de recherche d’emploi n’est absolument pas précis, cela va permettre de radier tous les chômeurs ! Nous avons le cas d’un privé d’emploi qui avait envoyé quarante CV, qui n’a jamais été reçu par Pôle emploi et qui a pourtant été radié pour ce motif… »
La mise au travail forcé des chômeurs ne s’arrête pas là. Le décret abroge aussi « la définition du salaire antérieurement perçu qui était pris en compte pour déterminer l’offre raisonnable d’emploi ». Le demandeur d’emploi sera poussé à accepter la première offre venue, même avec une rémunération très inférieure à celle de son dernier travail, sous peine de perdre ses droits au chômage (alors que l’ancienne règle stipulait qu’elle ne pouvait être en deçà de 95 % à 85 % du précédent salaire). Pour Denis Gravouil, le modèle allemand est clairement en train d’être mis en pratique. « Comme dans le cas des mini-jobs outre-Rhin, on va se retrouver avec un grand volant de travailleurs précaires, contraints d’accepter des boulots dégradés. » L’arsenal du flicage va également être renforcé. À partir de mi-2019, l’obligation pour le demandeur d’emploi de remplir un journal de bord en ligne de sa recherche sera expérimentée dans deux ou trois régions. Quant à la brigade de conseillers dédiés au contrôle des chômeurs, elle continue sa montée en puissance, passée de 200 personnes en 2015 à 1 000 d’ici à 2020, tandis que 1 300 postes seront supprimés en 2019 à Pôle emploi… « Avant, le radié pouvait s’adresser au directeur d’agence en cas de recours, précise Tenessee Garcia. Désormais, la réclamation est déplacée auprès de cette brigade, Pôle emploi va être encore plus juge et partie. C’est scandaleux que le gouvernement préfère faire la chasse aux chômeurs plutôt qu’au chômage. »
Face au tollé, Aurore Bergé, porte-parole des députés La République en marche, a tenté de justifier ce ciblage persistant des demandeurs d’emploi. Il serait effectué dans une « logique de justice », défendant « un équilibre entre des droits supplémentaires », par exemple en matière de formation et « des devoirs de recherche d’emploi notamment ». Une obsession de la remise au travail des chômeurs qui s’accommode mal de la réalité : hier, sur le site de Pôle emploi, 584 815 offres étaient disponibles pour plus de 6 millions d’inscrits.
Alors que la colère sociale s’exprime fortement dans le pays, que le bilan d’Emmanuel Macron est loin d’être flamboyant sur le front des créations d’emplois, avec un taux de chômage stagnant de 9,2 % à 9,1 %, les chômeurs n’en peuvent plus de faire figure d’ennemi public numéro 1. Cette avalanche de coups portés met Malika Zediri, de l’Apeis, association de privés d’emploi, hors d’elle. « C’est crapuleux ! Des études récentes ont montré que le renforcement des contrôles des chômeurs ne servait à rien. Ça me met en colère de voir que les presque 4 milliards que doit économiser l’Unédic correspondent au coût de la suppression de l’impôt sur la fortune. On prend très cher avec Emmanuel Macron. »
Les derniers chiffres du chômage diffusés par Pôle Emploi en décembre 2018 ne sont toujours pas à la baisse.
Ce sont, aujourd’hui, 6 327 800 personnes inscrites au chômage toutes catégories confondues alors qu’elles étaient 6 337 400 il y a un mois ; une variation qui laisse voir une augmentation inexorable depuis le mois de juin qui enregistrait 6 062 000 chômeurs inscrits à Pôle emploi.
Il faut rappeler qu’en mai 2017 on comptabilisait 6 214 300 personnes inscrites au chômage. La politique de stigmatisation des chômeurs ne fait pas baisser le chômage.
Les chômeurs en catégorie A (chômeurs n’ayant pas travaillé du tout) sont aujourd’hui 3 481 100 contre 3 466 400 en novembre.
La catégorie B (chômeurs ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois) passe de 767 600 personnes en novembre à 757 000 en décembre.
Quant à la catégorie C (chômeurs ayant travaillé plus de 78 heures dans le mois), elle passe de 1 480 200 en novembre à 1 430 000 aujourd’hui.
Nous ne voyons donc pas encore l’embellie annoncée par le gouvernement.
Nous pouvons aussi ajouter les 43 000 personnes placées en chômage partiel pour soi-disant « crise des gilets jaunes ». La crise des gilets jaunes a bon dos car la cause de cette crise économique est bel et bien le refus d’augmenter les salaires et le pouvoir d’achat par le patronat, soutenu par un gouvernement à son service.
Alors que se poursuivent les négociations assurance chômage, ces chiffres montrent qu’il serait encore plus inacceptable de baisser les droits des privés d’emploi comme le souhaitent certaines organisations, sur injonction du gouvernement. Les droits des privés d’emploi doivent, au contraire, êtres revalorisés en donnant les moyens de se former et de chercher un emploi sans avoir à se soucier en permanence de comment remplir le réfrigérateur. La nécessité d’accéder à un emploi stable en CDI et correctement rémunéré est une priorité pour chaque personne en recherche d’emploi.
Dans les négociations passées et comme dans les négociations actuelles, la CGT continuera à se montrer combative et cherchera systématiquement à ce que chaque salarié, privé d’emploi ou pas, se voit attribuer un revenu à hauteur de ses besoins.
Déclaration de la CGT
Montreuil, le 27 décembre 2018