8 Avril 2019
La Cour de cassation étend le préjudice d’anxiété
La juridiction suprême a ouvert, vendredi, la possibilité aux travailleurs exposés à l’amiante, mais dont les sites n’ont pas été classés, d’obtenir une indemnisation.
« Un revirement de jurisprudence » :c’est ainsi que la Cour de cassation elle-même a tenu à qualifier la décision qu’elle a rendue vendredi, concernant le préjudice d’anxiété lié au risque de développer
une pathologie causée par l’exposition à l’amiante.
Le syndrome de l’« épée de Damoclès » pour tous ces salariés ayant travaillé pendant des années au contact de la fibre cancérogène, qui, sans être malades, savent leur espérance de vie diminuée par la probabilité élevée de la survenance d’un cancer.
En étendant la possibilité de la reconnaissance de ce préjudice par le biais d’une indemnisation aux travailleurs ne figurant pas sur la liste des établissements classés amiante par les ministères du Travail, de la Sécurité sociale et du Budget, la juridiction suprême a ouvert une porte « qui était jusque-là fermée »,estime Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante).
Avant cela, seuls les salariés ayant exercé dans ces sites de « fabrication de matériaux contenant de l’amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales » étaient éligibles à une cessation d’activité anticipée – « sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle » –,ainsi qu’à une réparation au titre du préjudice d’anxiété devant le conseil de prud’hommes.
Les travailleurs concernés étaient dispensés d’apporter la preuve de leur exposition et du préjudice causé en vertu d’une présomption d’imputabilité liée à l’inscription de leur établissement sur les listes ministérielles. Mais, pour les nombreux autres salariés ayant travaillé au contact de l’amiante, rien n’était prévu.
C’était d’ailleurs le cas des salariés des centrales thermiques EDF, dont la procédure de l’un d’entre eux a donné lieu à cette décision de la Cour de cassation. « Il y avait de l’amiante dans toutes les installations thermiques EDF et il y en a encore, que ce soit dans les joints d’étanchéité des tuyaux ou comme isolant »,explique Marc Bontemps, secrétaire général du Syndicat du personnel de la production et du transport d’énergie (SPPTE) CGT de la région parisienne.
Pour le syndicaliste, la portée de cet arrêt dépasse même la question de la réparation du préjudice d’anxiété. «Cela va aider à la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’amiante pour ces travailleurs dont l’établissement n’a pas été classé, et pour lesquels une telle démarche relève aujourd’hui du parcours du combattant. Mais surtout, l’arrêt renforce l’obligation faite aux employeurs de protéger les salariés»,analyse-t-il.
« Cette décision est, certes, un progrès par rapport à la situation antérieure, mais elle est trop floue et exclut en pratique de nombreux salariés qui ne pourront apporter lapreuve de leur exposition à l’amiante » déplore Michel Parigot, vice-président de l’Association des victimes de l’amiante (AVA) et président du Comité anti-amiante Jussieu.
Car, à la différence des salariés ayant travaillé dans des établissements classés, l’arrêt de la Cour de cassation précise bien que les futurs plaignants dont le site n’a pas été classé devront justifier« d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave »,sans donner de critères précis de niveau d’exposition. Ce qui fait craindre à Michel Parigot une« iniquité de traitement »,selon l’appréciation des tribunaux.« Les tribunaux ne vont pas se transformer en distributeurs automatiques de billets »,concède Alain Bobbio.
« Il faut que les salariés qui veulent entamer ces démarches se rapprochent d’une association et d’un avocat. Rien ne sera acquis d’avance. Il faudra encore des combats et des mobilisations, mais ceux qui étaient exclus de cette reconnaissance du préjudice d’anxiété auront au moins une chance de l’obtenir», souligne le militant.