1 Juillet 2019
Pour le chercheur Arthur Borriello, la montée des populismes de gauche, en France et en Europe, doit faire face à la « résilience » de l’ancien monde politique. La fin d’une époque ?
Forte baisse de Podemos à 10 %, débâcle de La France insoumise à 6,3 %, et, dans un autre registre, revers pour Mouvement Cinq Étoiles en Italie… La défaite des formations de gauche radicale et des mouvements antisystème aux élections européennes signifie-t-elle que le temps du « populisme de gauche » est révolu en Europe ?
En France, la défaite cinglante du 26 mai pose une question majeure au mouvement de Jean-Luc Mélenchon : LFI doit-elle continuer à creuser le sillon populiste ou changer radicalement de stratégie ?
Si jusqu’ici, le mouvement avait tergiversé entre une ligne populiste et une ligne davantage tournée vers le rassemblement de la gauche, le voilà aujourd’hui condamné à choisir dans un jeu à quitte ou double. Mais tandis que les proches de Jean-Luc Mélenchon semblent décidés à redoubler de populisme en s’extrayant plus encore de la gauche traditionnelle, une partie du mouvement, portée par Clémentine Autain, propose au contraire de fédérer le peuple sur une base explicitement de gauche.
Mardi 4 juin, la députée de Sevran a ainsi lancé, avec d’autres figures de la gauche intellectuelle ou partisane (communistes, hamonistes ou écologistes) un appel à un « big bang » à gauche, estimant que « le pire serait de continuer comme avant ». Une réunion formalisera le processus le 30 juin, à Paris.
Une crise s’ouvre donc à l’intérieur de LFI, à l’instar de celle qui a secoué Podemos, au début de l’année, lorsque les dirigeants de la formation de la gauche populiste espagnole se sont déchirés autour de la stratégie. Avec pour conséquence une scission du mouvement.
Pour Arthur Borriello, chercheur en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste de l'Europe du Sud et auteur du récent ouvrage Quand on n’a que l'austérité (éditions de l'université de Bruxelles, 2019), le populisme de gauche tel qu’il est pratiqué en Europe a trouvé ses limites : la résilience des formations sociales-démocrates et écologiques, mais aussi l’organisation interne des mouvements populistes placent cette stratégie dans une impasse.
Jean-Luc Mélenchon, à la tête de La France insoumise (LFI), avait réuni 19 % des suffrages à la présidentielle de 2017. Deux ans plus tard, la formation a perdu deux tiers de voix aux européennes. Quant aux autres mouvements populistes espagnols ou italiens, ils plongent eux aussi. Est-ce la fin de la « parenthèse enchantée » du populisme de gauche ?
Arthur Borriello : Partout en Europe, on constate un net recul des formations dites populistes, que ce soit Podemos ou La France insoumise mais aussi, même si l’appellation « populiste » est discutable, pour le Parti travailliste de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne ou pour le mouvement grec Syriza. C’est donc un coup d’arrêt pour les nouvelles formations qui avaient émergé après la crise de 2015. Est-ce une parenthèse qui se referme ? Je le crois en effet.
Comment analyser ce recul global ?
C’est une question qui appelle une réponse détaillée, or si certains préfèrent défendre bec et ongles la stratégie populiste, les tenants de cette ligne, qu’ils soient dans le monde académique ou politique, doivent faire preuve de davantage d’autocritique. Mon analyse repose sur trois constats : premièrement, le populisme est avant tout un « moment » ; deuxièmement, le populisme trouve des limites à l’extérieur de lui-même ; et troisièmement, le corpus « laclauien » [du nom d’Ernesto Laclau, théoricien de la stratégie populiste avec la philosophe belge Chantal Mouffe – ndlr] a ses propres limites internes, théoriques, qui se traduisent dans la pratique.
En quoi le populisme n’est-il qu’un « moment » ?
Le populisme est un moment d’un système social et politique, mais aussi un moment de la « vie » idéologique et stratégique d’un mouvement politique donné. Ce n’est pas un attribut permanent d’un mouvement politique – comme le sont le conservatisme ou le socialisme, par exemple. Une même formation politique peut être populiste à un moment de son histoire, puis ne plus l’être. Le « moment populiste » désigne donc le moment d’irruption du politique et de l’antagonisme dans un contexte de dissolution des repères idéologiques et partisans. C’est un moment qui permet de refaçonner de nouvelles subjectivités politiques et qui peut, ou non, déboucher sur l’émergence et la consolidation d’une formation populiste.
Dans le cas de LFI ou de Podemos, on constate que les formations nées du moment populiste semblent avoir du mal à s’inscrire de manière pérenne dans le champ politique. Pourquoi ?
La pensée « laclauienne », qui s’est nourrie du populisme de gauche sud-américain où le paysage politique n’était pas aussi structuré qu’en Europe, n’a, à mon sens, pas suffisamment pris en compte le phénomène de résilience des anciennes formations. Certes, on assiste à un déclin des formations traditionnelles du fait de raisons à la fois structurelles (évolutions sociologiques, intégration européenne, etc.) et conjoncturelles (la crise économique a accéléré le processus). Mais c’est une dynamique partielle. La volatilité électorale n’est pas absolue. Les allégeances partisanes traditionnelles restent partiellement valables, bien que cela varie considérablement d’un contexte national à l’autre.
Vous voulez dire que le « dégagisme » a fonctionné, mais qu’aujourd’hui, la possibilité de transformer les identités politiques se réduit car « l’ancien monde » politique résiste encore ?
Regardez l’Espagne : le PSOE a réussi à reprendre la main. On revient à une logique d’affrontement gauche-droite, même si le paysage est plus éclaté qu’avant. En France, il y a une forme de stabilisation du système partisan autour de La République en marche et du Rassemblement national. Résultat, même dans les cas où « l’ancien monde » a presque entièrement disparu, de nouvelles lignes de clivage se sédimentent, et la possibilité de remodeler le paysage politique n’est pas infinie… La résistance des anciennes logiques ou l’institutionnalisation rapide de nouvelles logiques, qui est un impensé des théories de Laclau, est une spécificité européenne. Contrairement à l’Amérique du Sud, le Vieux Continent est pétri d’une longue histoire institutionnelle et politique qui empêche l’émergence de formations populistes au sens strict…
Qu’entendez-vous par populisme « au sens strict » ?
Les débats sont infinis sur le sujet. Je pense que la définition « laclauienne » est la meilleure qui existe à ce stade. Pour lui, le populisme est une logique politique de dichotomisation de l’espace social, entre le peuple et les élites considérées comme responsables de la frustration du plus grand nombre. Je pense toutefois qu’il faut ajouter que le populisme a aussi malgré tout un contenu politique (ce n’est pas une pure logique formelle, comme le concevait Laclau) : en tant que mouvement populaire, il vise à une extension des droits politiques et sociaux des classes populaires. En réalité, pour moi, et contrairement à ce qu’on entend souvent, le populisme est donc fondamentalement « de gauche », ou en tout cas, orienté vers l’émancipation populaire. Les éléments de populisme qu’on prête souvent à l’extrême droite ne sont, à mon sens, que des accessoires rhétoriques et ne constituent pas du tout le socle de l’extrême droite, qui est axée autour de thèmes nationalistes et autoritaires et n’a pas pour priorité une extension du domaine des droits des « petites gens », bien au contraire. Au risque d’être contre-tendance, j’irais même jusqu’à dire que le populisme de droite est une contradiction dans les termes, d’une certaine façon.
Vous avez évoqué la résilience des vieux partis, qui empêchent l’institutionnalisation des mouvements populistes en Europe. Quels sont les éléments internes aux mouvements populistes qui peuvent en stopper ou ralentir l’ascension ?
Il y a en effet aussi des éléments internes à la théorie laclauienne et à son application qui peuvent expliquer la débâcle. Le surinvestissement dans la figure du leader – et les problèmes de démocratie interne qui en découlent –, mais aussi le surinvestissement dans le jeu électoral ont pu se faire au détriment de l’investissement dans une contre-culture, dans la reconstitution de réseaux de sociabilité, dans le secteur associatif, bref, dans une contre-société sur le terrain.
Existe-t-il des endroits où ce populisme « horizontal » aurait réussi ?
La question de la centralité du leader est un biais régional qui vient des Sud-Américains, lesquels ont toujours eu un pouvoir très fort – d’où l’importance donnée par Laclau à l’incarnation charismatique. Pourtant, les chercheurs qui travaillent sur le populisme nord-américain de la fin du XIXe siècle ont montré que cette politique avait conduit à la création d’une contre-culture très empreinte d’« horizontalité », avec des coopératives agricoles, de l’autogestion des petits propriétaires agricoles américains… En réalité, je pense que l’association automatique avec la figure du leader est davantage liée à la politique contemporaine, et à la tendance à la « personnalisation » qui touche l’ensemble du spectre politique.
Entre le retour des anciens partis et ces mouvements populistes pensés pour être des machines de guerre électorales, mais pas des partis voués à vivre dans le temps, peut-on considérer que la stratégie populiste est, au fond, un fusil à un coup ?
Oui, en partie, car le populisme favorise les « outsiders » à un moment donné – ce qu’on a vu par exemple à la présidentielle française de 2017, où Mélenchon est passé de 5 % d’intentions de vote à près de 20 %. Mais que se passe-t-il ensuite, si on « loupe le coche » de la victoire ? Et lors d’élections, comme les municipales par exemple, où la logique politique favorise les sortants ? Prenons le cas espagnol : après des années d’embourbement, le PSOE a donné un coup de barre à gauche et renoué avec l’électorat populaire. Résultat, Podemos s’est vu obligé de se demander si Sánchez était devenu un interlocuteur légitime ou non. Dès qu’il y a la résilience du clivage gauche-droite et des allégeances qui en découlent, ces nouveaux partis doivent se positionner : suis-je une extériorité pure au système de partis, ou dois-je faire des alliances ? Dès lors que le paysage politique remet en selle le clivage gauche-droite, les formations populistes sont condamnées à choisir leur camp… et donc à démentir dans les faits leur prétention à n’être « ni de gauche ni de droite ».
D’où les déchirements internes à Podemos, entre Íñigo Errejón qui refuse de choisir et Pablo Iglesias qui a choisi la gauche. C’est ce qu’on trouve aujourd’hui, de la même manière, à LFI, entre les partisans d’une ligne encore plus populiste et les partisans d'un réancrage assumé à gauche…
Il y a des lignes de fracture et des tensions similaires dans ces deux mouvements. Chez Podemos, on a vu l’épilogue de ces conflits internes : une scission du mouvement entre les deux figures principales (Íñigo Errejón et Pablo Iglesias). Est-ce que la même chose est possible à LFI ? C’est à craindre. Tant que les résultats électoraux sont satisfaisants, l’attelage tient bon, mais dès qu’il y a des déconvenues électorales, les tensions tenues sous le capot pendant la période faste sont exacerbées. D’autant que des formations comme LFI ou Podemos ont été critiquées pour leur manque de démocratie interne et leur organisation verticale, ce qui ne permet pas l’ouverture de débats sereins entre des stratégies contradictoires.
En quoi le rassemblement de la gauche et la stratégie populiste sont-ils contradictoires ?
Il y a un antagonisme de circonstance, et pas de principe, entre ces deux stratégies. Idéalement, elles peuvent se combiner dans le temps. À Syriza, seul mouvement populiste à avoir réussi à émerger réellement, mais aussi à Podemos ou LFI, la stratégie populiste était envisagée pour devenir une force hégémonique à gauche. Une fois auréolées de leur nouveau statut, ces forces populistes auraient pu ramener à elles, comme un aimant, les forces satellites pour constituer la nouvelle gauche à l’issue de ce moment populiste – soit ni plus ni moins que ce qu’a fait la gauche social-démocrate pendant des années. Mais dans un contexte où les formations populistes de gauche ne sont pas parvenues à occuper cette situation hégémonique, la gauche, en Espagne et surtout en France, se retrouve plus morcelée que jamais et dans l’incapacité de se réorganiser autour d’un programme commun. On se trouve dans une situation où aucun mouvement n’est suffisamment dominant pour attirer à soi les autres forces. LFI, qui a sans doute surestimé après la présidentielle sa capacité de s’installer durablement comme premier parti d’opposition, a atteint un plafond de verre. Désormais, elle doit prendre acte de son « redimensionnement ».
Aux européennes, il y a eu l’émergence, certes relative, d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), qui se retrouve leader à gauche avec 13,5 % des suffrages. Il semble que les Verts soient dans une stratégie similaire à celle des populistes : dans un premier temps, asseoir sa « marque » politique, pour ensuite tenter de rassembler autour de soi… Est-on face à un nouveau populisme écologique ?
Que les écolos incarnent le nouveau leadership sur la gauche française, pourquoi pas. Mais on ne peut pas parler de populisme écologique, dans le sens où l’écologie politique ne porte pas l’idée de défendre « ceux d’en bas » contre « ceux d’en haut », qui est essentielle au label populiste. Il ne faut pas confondre les conditions structurelles d’émergence d’un mouvement et son identité politique. Certes, la montée en puissance des écologistes en Europe procède du même déclin des structures politiques traditionnelles, et de l’échec du maillage social par les corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, associations, etc.). Ce sont certes les mêmes conditions de naissance. Mais pas la même proposition politique ! On pourrait dire la même chose de LREM : cette nouvelle formation est née parce que l’environnement politique le permettait, mais le contenu politique n’est pas celui des « petites gens » contre le pouvoir – au contraire. C’est tout de même assez paradoxal de qualifier de « populiste » un mouvement, celui de Macron, qui se veut ouvertement « antipopuliste »… ça devrait nous mettre la puce à l’oreille quant à la confusion conceptuelle qui règne.
S’il y a dans le populisme de gauche l’idée du clivage entre le peuple et les puissants, cette stratégie s'accompagne-t-elle nécessairement de l’exaltation de la colère, une passion qui a pu être un repoussoir, comme l'estime par exemple Clémentine Autain ?
Le message porté par les responsables d’un mouvement doit dépendre du contexte : parfois, en temps de crise, dans un contexte marqué par la consensualité – qui a été incarnée par la cogestion entre centre-gauche et centre-droit en Europe –, il faut clairement désigner les adversaires et exacerber les antagonismes. Après, le risque est d’apparaître comme un pur parti d’opposition incapable d’accéder au pouvoir de façon apaisée. Mais il s’agit là d’interrogations très européennes. En Amérique du Sud, les populistes au pouvoir mènent des réformes au nom de la communauté politique dans son ensemble.
En France, le départ d’Andréa Kotarac, un cadre insoumis, vers le Rassemblement national, a posé crûment la question : la stratégie populiste favorise-t-elle les ponts vers le populisme d’extrême droite ? Avec cette idée que pour attirer un électorat de « fâchés pas fachos », il a pu y avoir des phénomènes de triangulation sur des terrains tels que celui de la nation ou des migrants…
C’est une question complexe. Dans la théorie laclauienne, il y a en effet cette idée qu’il existe des signifiants flottants, qu’il faut réutiliser pour créer un sentiment d’identification politique, et que parmi ces symboles il y a la patrie ou la nation. Dans cette perspective, on peut imaginer un discours émancipateur autour de la nation si elle n’est pas entendue de manière ethnique… L’idée, en gros, c’est : plutôt que de laisser la main à l’adversaire, essayons de nous réapproprier ces thématiques pour en faire autre chose. Podemos a tenté de le faire, avec moyennement de succès, en expliquant par exemple que l’évasion fiscale était un acte antipatriotique.
Il y avait clairement cette tentative de resignification du terme de « patrie ». Mais là encore, Laclau a été en quelque sorte un peu aveuglé par l’Amérique latine, où les mouvements populaires d’émancipation sont indissociables de la lutte contre l’influence étrangère – notamment américaine. Or en Europe, cela ne fait pas écho aux mêmes signifiants, surtout quand l’extrême droite est déjà très forte. Résultat, il me semble que les acteurs politiques du populisme de gauche ont pris cette théorie un peu trop à la lettre et ont sous-estimé la signification préalable de ces signifiants. Les mots ne sont pas des boîtes vierges qu’on pourrait remplir de sens. Ils se sont chargés d’un poids politique au fil de l’Histoire, poids politique qui est fonction de chaque contexte particulier.
Autrement dit, tenter d’utiliser les ressorts de l’appartenance nationale ou de l’attachement à la souveraineté vous semble dangereux ?
Il est très difficile de déboulonner le mot de « nation », qui appartient à l’extrême droite depuis des années… En réalité, les organisations partisanes doivent se demander : le jeu en vaut-il la chandelle ? Est-ce qu’en réinvestissant ce terme-là, j’ai plus de chances de me le réapproprier et de changer les termes du débat, ou est-ce que le risque est trop grand de donner de l’eau au moulin de l’adversaire ? Quand Podemos a tenté de récupérer la notion de « patrie », il n’y avait pas d’extrême droite dans le pays, les migrations ne constituaient pas un dossier chaud en Espagne…
En France, la situation est très différente : cela fait trente ans que le FN a un discours sur les migrants, sur la nation, sur le souverainisme… Donc il faut faire en fonction du contexte, et peser les risques et les avantages. Reste qu’il faut avoir en tête que la stratégie d’une certaine gauche antiraciste, internationaliste, cosmopolite, a perdu pied dans les classes populaires. Si on va dans cette voie-là, là aussi il y a un risque : que la gauche ne soit plus une force d’encadrement des classes populaires et que l’extrême droite monopolise cet électorat. Quelle que soit la stratégie qu’on adopte, il faut lutter en parallèle contre le discours ambiant qui parle de convergence des extrêmes…
Pour l’instant, c’est certain. Mais dans quelques années, une fois que Jean-Luc Mélenchon ou sa garde rapprochée, très formée politiquement, ne seront plus au pouvoir à LFI, qu'en sera-t-il ?
C’est vrai que la stratégie populiste est risquée face à un parti d’extrême droite très puissant depuis de nombreuses années, qui a percolé dans la population française. Mais d’un autre côté, le fait de laisser un ensemble de signifiants politiques au RN et de ne pas contre-attaquer dessus, c’est aussi un aveu d’échec anticipé… Il faut aussi prendre en compte que l’extrême droite a entretenu la confusion en allant chasser sur le terrain de ses adversaires et en insistant de plus en plus sur des thèmes économiques et sociaux (bien que, quoi qu’en disent les tenants de l’hypothèse d’une « gauchisation » de l’extrême droite, elle reste concentrée sur la défense des petits entrepreneurs et sur des préoccupations d’homogénéité ethnique et culturelle).
Revenons-en aux mots et à celui de « populisme ». N’est-il pas un piège pour la gauche qui s'en revendique ? Même au sein de LFI, beaucoup sont mal à l’aise avec ce terme, très associé à l’imaginaire d’extrême droite, malgré ce que vous en dites…
C’est vrai que je trouve que c’est faire trop d’honneur à l’extrême droite que de lui donner ce qualificatif ! En réalité, c’est la droite nationaliste qui a « volé » ce terme de populisme au moment de l’émergence du FPÖ, du Vlaams Blok, de la Ligue du Nord… Le terme s’est imposé comme une euphémisation de leur ligne politique et l’extrême droite a eu beau jeu de le récupérer pour se définir elle-même. Là encore, le populisme n’est pas seulement un phénomène, mais un signifiant avec une lutte qui s’engage pour le définir. Évidemment, la connotation des mots « populisme », « peuple », « chef », « État », n’est pas la même d’un pays à l’autre… La question, c’est de défixer la signification de ce terme de populisme.
Au fond, la question stratégique n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt ? Les débats autour de la stratégie ne sont-ils pas là pour masquer le tabou de la personnalité même de Jean-Luc Mélenchon ?
Aujourd’hui, la question stratégique est une ligne de tension majeure au sein de LFI. Après, oui, sans doute, il y a un problème de leadership… Mais c’est difficile de faire la part des choses entre l’incarnation et la stratégie. À Podemos, la ligne de fracture entre les « camps » Iglesias et Errejón est aussi une césure sociologique entre deux formes de militantisme : un militantisme d’extrême gauche de la « vieille garde » et un nouveau militantisme, avec des gens qui se sont politisés récemment (dans le mouvement des Indignés, par exemple) et en dehors des codes et des cercles de l’extrême gauche traditionnelle. Néanmoins, il y a une telle focalisation des médias sur la question personnelle, que c’est crucial à mon sens de replacer le débat sur les différences en matière de lignes politiques et stratégiques… Les combats de personnes sont toujours l’incarnation de réalités sociologiques, politiques, stratégiques plus profondes.