23 Août 2019
Alors que s’ouvre demain le G7 de Biarritz sous la présidence d’Emmanuel Macron, les incendies qui ravagent actuellement l’Amazonie au Brésil illustrent le côté hideux de la mondialisation des échanges pour le seul bénéfice des multinationales. Ces échanges fondés sur la course aux profits provoquent une accélération de la dégradation de la planète moins de quatre ans après l’accord de Paris sur le climat intervenu en décembre 2015.
L’Humanité Dimanche de cette semaine publie sur deux pages une photo légendée illustrant les ravages provoqués par la multiplication des incendies sur la forêt en Amazonie au Brésil. Depuis deux jours, les chaînes de la télévision montrent parallèlement des images spectaculaires concernant les pollutions provoquées par ces incendies qui s’amplifient au moment où se tient le G7 de Biarritz sous la présidence d’Emmanuel Macron. Ce matin, une dépêche d’agence explique comment la ville de Sao Paulo a, dès le 19 août, connu la nuit en plein jour avec une obscurité soudaine et des pluies grises chargées de cendre.
Pour nous, européens, il convient de noter que la recrudescence des ces incendies intervient quelques semaines après la conclusion d’un accord de libre échange entre une Commission européenne en toute fin de mandat et les pays du Mercosur dont fait partie de Brésil. Commentant dans La France Agricole de cette semaine le contenu de cet accord, l’agronome et économiste Yves Madre, co-fondateur de cercle de réflexion bruxellois FARM écrit ceci :
Le secteur agricole devra payer la facture
« L’accord est annoncé comme devant bénéficier aux économies de l’Union européenne. Le banquier de la négociation n’en est pas moins le secteur agricole qui devra payer la facture des ouvertures de contingents d’importation substantiels sur ses marchés sensibles ». En effet, cet accord prévoit une augmentation des importations européennes de viandes bovines, porcines et de volailles sans droits de douane ou à tarifs réduits. A cela s’ajoutent les importations accrues de blé argentin, de maïs et de sucre de canne brésilien, sans oublier l’éthanol alors que les pays du Mercosur exportent déjà la majeure partie des 40 millions de tourteaux de soja achetés par les pays européens pour compléter l’alimentation des élevages vaches laitières , d’animaux de boucherie et des poules pondeuses sur le territoire européen.
C’est pour accélérer le défrichage de la forêt primaire en Amazonie que les incendies volontaires se multiplient ces dernières semaines au Brésil. Tout permet de penser que les firmes exportatrices de l’agrobusiness paient des pyromanes pour « nettoyer » le terrain avant le défrichage de nouvelles superficies. Ainsi les feux de forêt ont augmenté de 83% depuis le début de l’année 2019 au Brésil par rapport à toute l’année 2018. Dans les Etats du pays occupés en totalité ou partiellement par la forêt amazonienne, les autorités brésiliennes ont recensé 13.628 départs de feu depuis le début de l’année, soit une hausse de 87% par rapport à toute l’année 2018.
Quand Bolsonaro accuse les ONG avant de faire machine arrière
Mercredi dernier, dans une vidéo diffusée sur Faceboock, le président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro a déclaré que « tout indique » que les ONG qui contestent sa politique se rendent en Amazonie pour « y mettre le feu». Il a prétendu voir là des actes de vengeance après la suppression des subventions à ces mêmes ONG par le gouvernement qu’il a mis en place après son élection. Devant l’avalanche de protestions suscitée par cette accusation, il a déclaré le lendemain que son propos de la veille n’était « pas une affirmation », précisant qu’il avait voulu faire part de ses « soupçons ». Mais il s’et empressé d’ajouter que le gouvernement brésilien ne serait pas en mesure d’éteindre les incendies en cours.
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » avait déclaré naguère Jacques Chirac, dans une formule écrite pour lui par Nicolas Hulot. Hier, c’était au tour d’Emmanuel Macron de déclarer sur Twitter : « Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète, qui produit 20% de notre oxygène est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence ». Mais, au lendemain de la conclusion de l’accord de libre échange entre la Commission européenne et les pays du Mercosur, le même Emmanuel Macron avait déclaré « à ce stade cet accord est bon» !
Les incendies ont toujours une origine humaine
Dans la nuit du 21 au 22 août, l’Agence France Presse (AFP) a posé six questions au chercheur brésilien Paulo Mouthinho , spécialiste de l’Amazonie. Les réponses à trois d’entre-elles sont particulièrement édifiantes. L’AFP lui a d’abord demandé si la sécheresse était la cause première de ces incendies. Réponse : « La déforestation explique la majorité des incendies. Historiquement, ils sont liés à l’avancée de la déforestation, conjuguée à des périodes de saison sèche intense. Mais en 2019 nous n’avons pas une sécheresse aussi sévère que lors des années précédentes, or il y a une hausse substantielle des incendies. Tout indique donc que la saison sèche n’est pas du tout le facteur prédominant. S’il y avait eu plus de sécheresse, cela aurait été bien pire ». Répondant à la seconde question sur l’origine de ces incendies, Paulo Moutinho donne les précisions suivantes : « Les incendies ont toujours une origine humaine, le feu est utilisé pour nettoyer des zones déjà déforestées, pour ouvrir des pistes ou préparer des terres à la culture. Le manque de prévention fait que ces incendies se propagent à des zones sèches qui n’étaient pas destinées à être brûlées…. ».
A la question de savoir si la nouvelle équipe au pouvoir favorise les incendies en vue d’un défrichage massif de la forêt amazonienne le chercheur déclare : « Je n’ai pas de données pour répondre à cela. Je peux dire que le problème est très sérieux et que le gouvernement devrait lancer une campagne de contrôle et de prévention de la déforestation. Cette progression doit cesser. L’occupation illégale des terres publiques signifie un vol pour tout les Brésiliens. Dans la majorité des cas, la déforestation permet de spéculer en revendant les terres plus tard ».
Voilà donc comment un accord de libre échange entre la Commission européenne et les pays du Mercosur produit déjà de multiples effets pervers avant même d’être ratifié par les pays membres de l’Union européenne.