14 Décembre 2019
Mais Edouard Philippe peut-il sérieusement promettre que la valeur du point ne baissera pas au-delà de sa présence à Matignon ? Pas sûr. Le premier aveu est venu de son ancien camp politique, Les Républicains… il y a 3 ans déjà ! En pleine campagne électorale, François Fillon affirmait dans une vidéo devenue virale qu’en réalité, "le système des retraites par points permet, chaque année, de baisser la valeur des points et donc de diminuer le niveau de pensions". Ce mercredi, au Conseil économique social et environnemental, le Premier ministre a anticipé cette critique : "Nous nous engageons à ce que la valeur du point ne soit pas fixée à la sauvette, au gré des difficultés budgétaires !", a-t-il assuré lors de son discours. Il peut, il est vrai, s’appuyer sur l’exemple du régime par points des retraites complémentaires des salariés Agirc-Arrco, géré par les partenaires sociaux, et qui n’a jamais vu la valeur nominale (c'est à dire sans tenir compte de l'inflation) de son point baisser. On peut aussi penser que le coût politique de l’annonce d’une baisse du point serait tel, qu’aucun gouvernement souhaitant prolonger son bail ne s’y risquerait. Certes.
Mais comme l’explique Michaël Zemmour, maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et spécialiste du sujet des retraites, "ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire". Sur Twitter, le sénateur LR Bruno Retailleau force le trait : "Faire croire comme le fait le gouvernement que la valeur du point ne pourra pas baisser parce qu’il sera inscrit dans la loi, c’est prendre les Français pour des imbéciles. Chaque loi de finance sera l’occasion pour les futures majorités de revenir sur cette valeur". Autrement dit, un futur gouvernement pourra, s’il le souhaite, imposer un gel ou une désindexation du point en cas d’exercice budgétaire compliqué... comme le gouvernement actuel l’a fait en 2018 avec la revalorisation de seulement 0,3 % des prestations sociales.
Du reste, quand bien même les futurs gouvernements seraient parfaitement respectueux du maintien de la valeur du point lors des cinquante prochaines années, une entourloupe est possible : "Si le gouvernement peut promettre qu’il indexera la valeur du point, il ne peut en revanche affirmer que les ménages toucheront la valeur de ce point…", relève Michaël Zemmour. Cette valeur ne s'applique en effet qu'en cas de retraite... à taux plein. L'économiste détaille : "En réalité, la valeur du point dépendra de l’âge pivot - l’âge dit d’équilibre pour le taux plein - qui sera fixé à 64 ans". Si cet âge n’est pas atteint, "dès lors une décote sur la valeur du point s’appliquera". Une donnée logique, mais pas vraiment mise en avant par le gouvernement. Pour les ménages qui ne partent pas suffisamment tard, "c’est la double peine !", estime Zemmour : en plus d’avoir accumulé moins de points, la valeur du point utilisé pour calculer leur retraite sera diminuée d’un malus. Un malus dont le niveau sera déterminé par les partenaires sociaux.
Mais il y a pire, note l'enseignant à Paris 1 : cet âge d’équilibre du taux plein de 64 ans sera amené "à évoluer dans le temps" et donc à reculer ! Car par définition, il doit garantir "l’équilibre" du système : c’est la règle d’or. Pour justifier son propos, l’économiste s’appuie sur le rapport Delevoye, inspirateur de la future réforme, qui stipule que "l’âge du taux plein sera un levier de pilotage du système de retraite". Et que "cet âge avancera plus ou moins rapidement, voire stagnera si l’espérance de vie cesse de progresser". Bref, mécaniquement, on demandera aux ménages de partir plus tard s’ils veulent voir la valeur de leur point respectée. Voilà qui promet encore de rudes batailles…