23 Juillet 2020
Les conclusions de la concertation nommée Ségur de la Santé ont été rendues mardi par le ministre de la santé Olivier Véran. Décryptage.
Le mouvement social qui a embrasé les hôpitaux publics avec des revendications portées par les personnels soignants et la mobilisation générale des personnels face à l’épidémie de Covid-19 ont permis que la grave crise sanitaire soit une question largement sensible et portée par les citoyens avec des exigences fortes pour sortir notre système de santé de la crise dans laquelle l'ont mis les gouvernements successifs.
Le message était simple, mais que très partiellement entendu par le gouvernement. "Ce sont des annonces a minima", résume Michèle Leflon, présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Mireille Stivala, de la CGT santé, reste sur sa faim :
« Globalement, ces annonces sont décevantes, le gouvernement reste au milieu du gué et ne renonce pas à sa politique austéritaire. Nous serons très vigilants sur la manière dont ces annonces seront traduites dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale. »
1. Le Ségur, machine à noyer les revendications
Avec 200 participants – sans les collectifs Inter-Urgences et Inter-Blocs, fers de lance des mobilisations, pas invités – pour noyer dans la masse des paramédicaux sous-représentés par rapport aux organisations de médecins dont certaines, les plus récalcitrantes, ont été éjectées des derniers arbitrages, et quatre « piliers » de discussion tout a été fait pour noyer les sujets sensibles.
Durant 5 semaines, les participants n’ont eu pour seul interlocuteur que Nicole Notat. Le ministre de la Santé n’a dévoilé ses cartes que dans l’emballement final, avec de faibles marges de manœuvre budgétaire et un mantra bien ancré et rappelé hier : « Les constats ne sont pas nouveaux. La loi relative à Ma santé 2022 n’est pas caduque. Nous accélérons dans tous les domaines de transformation. »
Le changement, ce n’est donc pas pour maintenant.
2. Des augmentations de salaires au minimum
Au bout des négociations, le gouvernement a consenti 8,2 milliards au global. Soit 7,6 milliards incluant une augmentation de 183 euros nette mensuelle, une revalorisation des métiers et 15 000 recrutements. Et 450 millions pour les médecins, bonifiés de 200 millions pour les indemnisations des étudiants internes et externes.
Les syndicats (FO, CFDT et Unsa pour les paramédicaux ; INPH, Snam-HP et CMH pour les médecins) ont signé, ce fut selon le vieil adage : « Ce qui est pris n’est plus à prendre. »
Alors que "Le “quoi qu’il en coûte”, de Macron on ne le voit pas, déplore le docteur Jean-François Cibien, vice-président d’Action praticien hôpital (non signataire).
"On aurait pu remettre les salaires des infirmières au niveau médian des salaires français ou de celui des infirmières des autres pays européens. La France ne le fait pas. Et comment va-t-on rendre l’hôpital public attractif alors que les jeunes médecins y commencent, après huit années d’étude, à 3 500 euros par mois, et que le privé leur offre 10 000 à 15 000 euros ? "
3. L’esbroufe de l’augmentation des effectifs
De 5 % à 10 % d’étudiants infirmiers en plus à la rentrée 2021, doublement des places de formation pour les aides-soignants et 15 000 embauches chez les paramédicaux. Selon Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf).
« La montagne accouche d’une souris. Pour les Ehpad, le ministre renvoie à la loi sur l’autonomie attendue depuis deux ans. On espère toujours les 200 000 créations de postes demandées. Quant aux 15 000 postes créés, il n’y en a en réalité que 7 500, puisqu’on y compte les 7 500 postes déjà budgétés et non pourvus. »
Pas sûr que les revalorisations salariales consenties par le gouvernement rendent plus attractives ces fonctions dans les hôpitaux publics. D’autant que la pénibilité de ces métiers, avec bonification des retraites, n’a jamais été prise en compte dans ce Ségur.
4. Des moyens accrus sans changer la donne
En dix ans, 11,7 milliards d’euros d’économies ont été imposés aux hôpitaux. En vingt ans, 100 000 lits et 95 services d’urgences ont été fermés. En guise de changement, Olivier Véran annonce la création de 4 000 lits, qu’« (il) appelle “à la demande”, en fonction des besoins saisonniers ». « Ces 4 000 lits ne compensent même pas le nombre de lits fermés sous Macron », pondère Christophe Prudhomme.
Le ministre de la Santé assure pourtant que la donne va changer concernant les moyens. Dix-neuf milliards vont être investis pour la « transformation du quotidien ». Soit 13 milliards de reprise de dettes annoncés il y a un an, auxquels s’ajoutent 6 milliards d’investissements pour rénover et moderniser les bâtiments comme les pratiques dans les hôpitaux et le médico-social.
« On nous annonce aussi l’assouplissement de la T2A (tarification à l’acte) et une mécanique nouvelle de l’Ondam (objectif national des dépenses de l’assurance-maladie), relève Christophe Prudhomme. Mais l’Ondam demeure, soit ce système d’enveloppe financière fermée qui a fait que le système de santé n’a pas les moyens de faire face aux besoins, engendrant des déficits et des dettes. »
« Tant qu’on n’aura pas fait sauter cet Ondam, les choses ne changeront pas. Tant qu’on ne prendra pas en compte les coûts évités par une bonne prise en charge, on tournera en rond », abonde le docteur Cibien.
5. De vrais-faux changements de gouvernance
Le ministre se fait fort de rééquilibrer le rapport de forces soignants-gestionnaires aux profits des premiers, en leur conférant plus de place dans les instances consultatives et décisionnaires. Pour cela, il reprend les préconisations du rapport Claris sur la gouvernance de l’hôpital. « Ce rapport a une grande faiblesse. Ses auteurs se fondent sur les retours d’expérience des directions actuelles des établissements. Or, tous ces gens ont dit que ça marchait très bien comme cela », soulignait récemment Laurent Heyer, président du conseil national professionnel Anesthésie-Réanimation. Ils n'ont donc aucune crédibilité !
Véran veut rendre du pouvoir aux « élus des territoires », en les associant à la définition des objectifs de santé locaux, en lien avec les ARS, sommées de muscler leurs échelons départementaux pour coller au plus près des besoins. Les Copermo qui désignent les instances technocratiques qui ont instruit les fermetures d’hôpitaux téléguidés de Bercy, sont remplacés par des conseils nationaux et locaux de l’investissement de santé, dans lesquels se retrouveront ces mêmes élus.
Et les expérimentations « territoriales » sont les bienvenues. « Sur la question de la proximité du soin, la ministre de la Cohésion des territoires sous-entend que les collectivités pourraient contribuer à financer l’accès aux soins. "C’est inquiétant en termes d’égalité dans l’accès aux soins entre les territoires", relève Michèle Leflon, de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.
L'opinion de Nathalie Coutinet des Economistes atterrés
Nathalie Coutinet économiste à l’université de Paris-XIII et chercheuse au Centre d’économie de Paris-Nord donne son opinion sur le Ségur. Elle pointe l'enjeu du financement global du système de soins, angle mort du Ségur de la santé, dans son entretien avec le journal l'Humanité.
Pour elle, la tarification à l’activité (T2A), les fermetures de lits, le recours à l’intérim... Loin de marquer une rupture dans la politique de santé publique, le Ségur concède quelques miettes qui ne sont pas à la hauteur des problèmes structurels de financement de l’hôpital public.
Le ministre de la Santé a semblé reconnaître que certaines mesures comme la tarification à l’activité (T2A), les fermetures de lits, le recours à l’intérim posaient problème dans la politique de santé, la FHF parle d’une « fin de la logique comptable à l’hôpital ». Partagez-vous cette analyse ?
Nathalie Coutinet Ce Ségur n’a pas abouti à une réforme en profondeur du système de soins, on est plus sur quelque chose qui relève de l’emplâtre sur une jambe de bois.
Sur la tarification à l’activité, ce qu’a annoncé Olivier Véran n’est pas très différent de ce qui avait été mis en avant il y a plus d’un an par Agnès Buzyn, qui estimait que ce n’était pas un mode de financement optimal pour tous les soins, comme par exemple les maladies chroniques. Mais on ne sait ni par quoi ce financement va être remplacé ni sur quel pourcentage. Et, fondamentalement, il n’est pas question de réajuster la T2A en fonction du coût réel de certains actes, alors que ces tarifs sont bien souvent sous-évalués.
Pour ce qui est des ouvertures de lits, on reste bien en deçà des besoins et des demandes des soignants.
Quant à la problématique de l’intérim, cela existe aussi parce qu’il y a des besoins en personnels soignants. Le problème, c’est celui de l’attractivité des hôpitaux publics. Comment Olivier Véran propose-t-il d’y mettre fin ? Les revalorisations prévues dans le Ségur ne permettent même pas d’aligner les revenus des personnels hospitaliers avec celui de nos partenaires européens.
La rallonge de 6 milliards d’euros en investissements, en plus des 13 milliards de la reprise de la dette, constitue-t-elle néanmoins un signal positif pour les défenseurs de l’hôpital public ?
Nathalie Coutinet On peut imaginer que cela pourrait être le signe que le gouvernement va arrêter de demander aux hôpitaux de faire des économies tous les ans, que ce soit de manière pérenne ou temporaire. Mais que va-t-il advenir du reste de la dette (30 milliards – NDLR) ? Les soignants demandaient son effacement pur et simple, ce n’est pas à la hauteur des attentes ni des besoins de l’hôpital public.
La question du financement plus global du système de soins reste relativement un angle mort de ce Ségur…
Nathalie Coutinet Le coût du Covid-19 va être supporté largement par la Sécurité sociale. L’exécutif explique que le trou va être abyssal alors que le système était quasiment à l’équilibre avant la crise sanitaire.
Mais, au lieu de remettre en cause les mesures d’exonérations de cotisations sociales, le gouvernement accentue cette politique. Ce qui va forcément aboutir à une baisse des dépenses et, in fine, à une baisse des prestations. On est dans la continuité du plan « Ma santé 2022 ».
Il y aurait à l’inverse des moyens d’assurer le financement du système de soins public en arrêtant ces exonérations – dont l’impact sur le chômage est par ailleurs faible – en augmentant ces cotisations, et que ce soit les États et non les systèmes de protection sociale qui prennent en charge le coût du Covid.
Il faudrait aussi reposer la question de la place de l’hôpital public dans le système de soins par rapport aux cliniques privées et aux praticiens libéraux ainsi que celle de la gouvernance des hôpitaux et du rôle des soignants au sein de celle-ci.
​​​​​​​