Rejeté par une large majorité du pays, le président de la République a choisi de s'aventurer sur un terrain très glissant. Au nom des reculs de la République qui préoccupent nos concitoyennes et concitoyens, il a en effet pris le risque d'encourager les amalgames entre l'islam, les musulmans, l'intégrisme ultra-réactionnaire, le terrorisme, la délinquance, les quartiers populaires.
Le « séparatisme » dénoncé ne concerne qu'une seule religion. Le choix même de parler depuis une ville populaire d'Île-de-France entretient la confusion en associant aux régressions obscurantistes une partie de la nation. Celle qui, souvent de confession ou de culture musulmanes, se trouve reléguée dans les périphéries urbaines et est victime d'une insupportable exclusion sociale. Celle aussi qui était en première ligne de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 au printemps, sans que quiconque ne songe alors à lui reprocher un quelconque « séparatisme ».
Emmanuel Macron met de fait en cause des libertés fondamentales et certaines des règles énoncées par la loi de 1905 consacrant la séparation intransigeante des Églises et de l'État. Ce qui fera le jeu des prêcheurs de haine de tout bord, qui ont en commun de vouloir diviser les Français en fonction de leurs origines et de leurs convictions intimes.
Il est ainsi dangereux de remettre en cause les droits des collectivités locales, en soumettant leurs actes à la tutelle administrative des préfets. Il n'est nullement dans l'esprit des lois de 1901, 1905 et 1907 de s'engager sur la pente dangereuse de la restriction des droits des associations et de leurs possibles dissolutions par voie administrative.
Si l'on veut scolariser les enfants dès l'âge de trois ans, encore convient-il, dès l'exercice budgétaire de 2021, d'offrir à l'école de la République tous les moyens d'exercer sa mission. Ce n'est pas en s'ingérant dans l'organisation et le financement des établissements privés que l'on combattra vraiment les dérives sectaires, c'est en revenant sur les dispositions qui, depuis de très nombreuses années, ont favorisé l'essor de l'enseignement confessionnel au détriment de l'école publique.
C'est aller à l'encontre de la séparation des religions et de la puissance publique que d'engager l'État dans la structuration d'un culte particulier et la formation de ses officiants. On ne peut prétendre écarter une « approche concordataire » et remettre implicitement en question le principe d'égalité de traitement des religions par la République, ouvrant du même coup la boîte de Pandore de nouvelles querelles religieuses à l'avenir.
Le fondamentalisme fanatique, qui pousse aux replis communautaires et prétend substituer la loi divine à celles de la République, existe dans la plupart des religions. Il doit être combattu sans réserves. S'il se manifeste au sein de l'islam, il n'en est pas moins extrêmement minoritaire parmi nos compatriotes de confession musulmane. C'est pourquoi c'est une faute de réduire l'action publique au seul séparatisme islamiste ».
Ni des lois de circonstance bousculant l'État de droit, ni des dispositifs bricolés à la hâte à des fins électoralistes ne permettront une action efficace. Les textes aujourd'hui existants permettent aux administrations de lutter efficacement contre les dérives sectaires, d'engager des poursuites contre les incitations à la haine ou à la violence sur les lieux de culte et dans le cadre d'associations cultuelles, de fermer si nécessaire tout lieu qui se place hors des règles du vivre-ensemble, de contrôler et démanteler les circuits de financement occultes de certaines obédiences.
Pour faire reculer l'obscurantisme et l'intégrisme, l'urgence est d'abord à la reconstruction du lien social et des liens de la citoyenneté dans notre pays.
Notre laïcité républicaine a d'abord besoin que ses principes soient véritablement mis en œuvre pour garantir la liberté de conscience et l'égalité des citoyens, par-delà leurs appartenances religieuses.
Ramener la République là où elle a démissionné depuis des années nécessite des politiques audacieuses en matière d'emploi, de réindustrialisation des territoires, de moyens accrus pour notre enseignement, de formations qualifiantes des jeunes et des salariés, de services publics refondés et étendus, d'égalité entre femmes et hommes, de revitalisation de la démocratie, de mise en place d'une police et d'une justice de proximité, d'encouragement à un travail de mémoire approfondi sur les crimes de la colonisation.
Et s'il s'agit de parler de la vie associative, que l'exécutif se préoccupe donc d'aider sans délai les structures républicaines et leurs milliers de bénévoles qui agissent au quotidien contre les conséquences de la crise sanitaire, le développement de la précarité, la misère qui gangrène tant de nos communes. Emmanuel Macron n'en a pas dit un mot.
Cela exige, non les vœux pieux énoncés par le président de la République en conclusion de son propos, mais une rupture radicale avec la politique mise en œuvre depuis le début de son quinquennat et au cours des précédents. Il est temps de refuser toute tolérance envers ce «séparatisme» dont on ne parle jamais et qui émane des privilégiés et de la haute finance.