26 Janvier 2024
Colère des agriculteurs : taxe sur le gazole non-routier, libre-échange… la grande hypocrisie de la FNSEA
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Les agriculteurs se soulèvent partout en France contre un modèle qui les étrangle et rend leur métier toujours plus difficile. Dans les médias, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, s'affiche comme le porte-voix de cette colère… mais se fait très discret sur la responsabilité de son propre syndicat dans la crise actuelle.
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Ces derniers jours, Arnaud Rousseau, le président de la puissante FNSEA, premier syndicat agricole de France, est sur tous les fronts médiatiques. France Info, France Inter, 20 heures de TF1, le syndicaliste se démultiplie dans les médias pour se présenter comme le porte-parole du mouvement de colère des agriculteurs. Un activisme effréné pour éviter que le mouvement ne lui échappe.
Partie de Toulouse le 16 janvier dernier après des discussions sur Facebook entre amis agriculteurs, cette contestation s’est construite en dehors de tout cadre syndical. En atteste l’un de ses chefs de file locaux, Jérôme Bayle, éleveur de vaches limousines, qui a repris l’exploitation familiale il y a huit ans après le suicide de son père. Avec ses mots, simples et directs, l’éleveur résume tout le mal-être d’une profession : « Depuis une décennie, je ne me rémunère plus. Avec le peu d'argent que je gagne, je me contente de payer mes factures d'eau, de gaz, d'électricité et d'acheter du gazole. Je m'occupe de mes 90 vaches, seul, parfois avec ma mère, et je bosse quatorze heures par jour : à un moment, la coupe est pleine », dénonçait-il auprès de La Tribune.
Deux jours après cette réunion place du Capitole, cette bande de copains décidait de passer aux choses sérieuses en bloquant l’autoroute A64 qui relie Bayonne et Toulouse. Un mouvement local qui a depuis pris une tournure nationale avec des mots d’ordre divers et variés suffisamment transversaux aux différentes filières agricoles pour créer une colère commune. Et notamment la dénonciation de la fin de l’exonération de la taxe sur le gazole non routier (GNR), prévue dans le projet de loi de finances 2024, unanimement dénoncée sur les barrages tenus par les agriculteurs. La taxation du GNR devrait augmenter de 2,80 €/hl par an sur une période de sept ans pour atteindre 23,46 €/hl en 2030.
Une disposition sur laquelle le patron de la FNSEA se fait discret et pour cause, c’est son propre syndicat qui était à la table des négociations avec Bercy pour entériner sa suppression. Début octobre, Luc Smessaert, le vice-président de la FNSEA s’auto-congratulait ainsi de ce que « la fermeté de la FNSEA [avait] payé ». Et d’expliquer qu’« après l’annonce, il y a quelques mois, par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, de revoir la détaxation dont bénéficie le gazole non routier (GNR) pour les agriculteurs, la FNSEA s’est mobilisée sur-le-champ. Plutôt que de choisir la voie du refus de la décision du gouvernement, elle a préféré la stratégie de la négociation ». Un autosatisfecit beaucoup moins bruyant aujourd’hui.
Dans les rangs des manifestants, nombreux sont ceux également à pointer du doigt les dégâts provoqués par cette marche forcée vers toujours plus de libre-échange. Soumis à un cadre social et des normes plus contraignantes, les agriculteurs et éleveurs français se retrouvent confrontés à une concurrence déloyale face à leurs homologues d’autres pays. Ils sont ainsi vent debout contre l'accord commercial entre l’Union européenne et l’alliance économique du Mercosur qui rassemble Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay. Une position que la FNSEA a faite sienne. Dans une lettre adressée au président de la République en juin dernier, Arnaud Rousseau écrivait ainsi que ce traité serait « une source de distorsion de concurrence inacceptable engendrant de nouvelles pertes de production sur le territoire français ».
Sauf que si le patron de la FNSEA s’oppose officiellement au Mercosur, le syndicat a toujours défendu la nécessité pour le monde agricole français de se glisser dans les draps du libre-échange, voyant là de possibles débouchés économiques grâce à l’exportation à l’international des produits français. En 2016, Arnold Puech d'Alissac, administrateur à la FNSEA, expliquait en plein débat sur le TAFTA, que sur le fond, « quand on est à la FNSEA, on est favorables à la libéralisation des marchés ».
Quelques années avant lui, Xavier Beulin, tout juste élu à la tête de la FNSEA avait dévoilé son plan de bataille pour l’agriculture française : « Il faut produire plus et moins cher ». Une vision qui a montré ses limites lors de la fin des quotas de lait, décidé au début des années 2000 et entré en vigueur en 2015 avec des prix très volatils, des rémunérations aléatoires pour les producteurs d’une année à l’autre et un rapport de force qui a permis aux industriels, au travers de la contractualisation obligatoire, de se retrouver dans une position dominante face aux producteurs.
Et si la France affichait en 2022, une balance commerciale agricole et agroalimentaire excédentaire (différence entre les importations et les exportations) de 9,4 milliards d'euros, chiffre qui a grimpé 19,6 % en un an, ce chiffre est « gonflé » par les vins, les spiritueux et les céréales. Sur les filières viande, produits d'épicerie, fruits et légumes, le déficit français, lui, se creuse. Les contestataires pointent également du doigt certaines normes qu’ils jugent aberrantes ou qui complexifient cruellement leur travail. Certaines, à mettre au crédit de la Commission européenne, d’autres en revanche, bien françaises cette fois. « Depuis des dizaines d’années, nous réclamons la fin de cette règle absurde, spécifique à la France, qui interdit à un céréalier de vendre en direct à un éleveur », explique Damien Brunelle, membre de la Coordination rurale. « C’est une règle absurde qui oblige le céréalier à passer par un organisme stockeur au risque de se voir opposé de lourdes amendes », poursuit-il. Une règle défendue mordicus par la FNSEA, selon Damien Brunelle, « en raison de son soutien à l’agrobusiness », pointe-t-il. Un soutien très discret ces derniers temps.