Le ras-le-bol des agriculteurs exprimé depuis des mois se transforme en colère partout en France.
Il exprime un mécontentement croissant ici comme dans d'autres pays européens. En Allemagne, en Angleterre, en Pologne, en Roumanie, les agriculteurs expriment leur colère face aux exigences européennes et aux enjeux environnementaux et leurs revenus en baisse. Ces mouvements ont tous les mêmes ferments : l’incompréhension grandissante entre la réalité de la pratique du métier d’agriculteur sur le terrain et les décisions administratives centralisées, qu’elles soient à Bruxelles ou dans les capitales européennes : la coupe déborde.
La colère des agriculteurs gronde. Si les raisons sont diverses, ayant en commun les politiques agricoles et économiques guidées par la mise en concurrence et la pression sur la rémunération du travail. Accablés par la hausse des coûts notamment des carburants, lassés par la faiblesse de leur revenu, les agriculteurs d’Europe laissent exploser leur colère.
Depuis l’automne, la grogne s’amplifie, le ton s’est durci ces derniers jours, avec le blocage de l’autoroute A64 en Occitanie le mouvement s’étend.
Les pyromanes tentent d’éteindre l’incendie.
Le premier ministre Gabriel Attal tente d’éteindre l’incendie en multipliant les rencontres et les annonces de simplification à défaut de remettre en cause les orientations de la PAC dont il est un serviteur zélé.
Le malaise est plus profond, fruit de politiques successives et de choix dont celui de livrer l’agriculture à ces mécanismes de libre-échange qui mettent en concurrence les uns contre les autres alors qu’on est sur des territoires et sur des façons de produire différents. Il s’agit de revoir la politique agricole et ses règles économiques.
Éteindre l'incendie c'est ce que cherche à faire Macron et Gabriel Attal en recevant le président de la FNSEA, dirigée par un agro-industriel, mais il ne suffira pas de quelques mesurettes comme demander à Bruxelles de mettre en pause l'augmentation des surfaces en jachère ou d'inviter l'Agence de la biodiversité à ne plus harceler nos agriculteurs… La colère est plus profonde.
Un gouvernement au service des multinationales de l’agro-industrie et de la grande distribution:
Depuis plusieurs semaines, le monde agricole se retrouve sous pression alors que les discussions entre les industriels de l’agroalimentaire et les distributeurs se terminent le 31 janvier. Selon l’INSEE, le revenu moyen agricole pourrait reculer de 9 % cette année.
Lactalis a imposé à ses producteurs un prix du lait de 405 € pour 1 000 litres au mois de janvier. Ce prix de base ne couvre pas les coûts de production! Le MODEF revendique un prix minimum de 500 euros pour 1 000 litres.
*Le coût de l’énergie a explosé, les coûts des intrants ont augmenté, tout comme ceux de la main-d’œuvre ou de l’alimentation animale.
*Les lois EGALIM 1-2-3 se succèdent et démontrent leur inefficacité et n’apportent aucune réponse, les prix agricoles sont en baisse ( -31,3 % en céréales, -8,4 % en vins, -8,5 % volailles, – 4,3% en gros bovins, – 11,2 % œufs).
*Les coûts de production sont à des niveaux très élevés,
*L’électricité va augmenter prochainement de 10 % au 1er février 2024.
*Le projet de loi de finances 2024 prend l’Agriculture Familiale et l’Agriculture Biologique en otage. La première mesure concerne la réduction progressive de l’avantage fiscal du GNR entre 2024 et 2030. En 2030, il n’y aura plus d’avantage fiscal sur le GNR (Gazole Non Routier), cette suppression entraînera une augmentation de 5 400 euros pour une ferme qui utilise 10 000 litres de GNR par an.
Il est nécessaire d’avoir un million d’agriculteurs d’ici 2030 !
Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé le report de son projet de loi concernant l'installation de nouveaux agriculteurs de « plusieurs semaines », afin qu'un volet « simplification » soit ajouté au texte ! Il avait présenté vendredi dernier ce pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture, censé faciliter le remplacement des nombreux exploitants partant bientôt à la retraite et les transitions face au changement climatique. Pour la Confédération Paysanne, « ce Pacte entérine et renforce le modèle agro-industriel qui fait pourtant la démonstration de son incapacité à répondre aux enjeux de revenu, d’installation et de transition agro-environnementale ! »
Ce pacte est le résultat d’une consultation lancée fin 2022, un chantier de plusieurs mois, un Pacte d’orientation agricole qui accouche d’une souris en ce qui concerne le renouvellement des générations. Pire, il ne permettra pas non plus de répondre au contexte agro-environnemental, social et économique pour les paysans et les installations. Il révèle le double discours du gouvernement qui prétend répondre au défi de renouvellement des générations, via l’installation sans les orientations politiques ni les moyens adaptés. Le volet « favoriser l’installation-transmission » est passé aux oubliettes pourtant 45 % des agriculteurs devraient cesser leur activité d’ici 2026.
Entre 2010 et 2020, la France a perdu 100 000 fermes. Alors que le ministre s’était engagé sur l’installation de 150 000 nouveaux agriculteurs! Cet objectif a disparu du projet de loi. Le MODEF(3) et la Confédération Paysanne estiment qu’il est nécessaire d’avoir un million de paysans à l’horizon 2030.
Ce texte n’est donc pas à la hauteur des enjeux en termes d’installation agricole, du renouvellement et du changement climatique et aucune mesure n’a été proposée sur la gestion de l’eau en Agriculture au contraire il maintient l’obligation de laisser des portions de terres en jachère, et restreint l’accès à l’eau, réservé aux grandes entreprises agricoles capitaliste !
La Société d’Aménagement Foncier et Établissement Rural (SAFER), établissements publics créés par la loi d'orientation agricole (LOA) de 1960 est menacée de disparaître au profit de la création de Groupement foncier Agricole d’Investissement (GFAI) permettant à des investisseurs privés de mobiliser des ressources financières pour l’acquisition et la gestion des terres agricoles !
Ce Pacte d’Orientation pour le renouvellement des générations en Agriculture sera débattu au Parlement mi-février ou début mars.
Un poulet sur deux consommé en France est importé :
Quelle souveraineté alimentaire en France ?
Les derniers chiffres de FranceAgrimer montrent que notre « dépendance aux importations » – comme aiment à le répéter les défenseurs d’un modèle intensif est de 75 % pour le blé dur, 26 % pour les pommes de terre, 37 % pour les fruits tempérés ou 26 % pour les porcs.
Le vrai problème, c’est qu’on exporte ce que l’on produit, y compris ce dont on a besoin.
Depuis plus d’un an, l’Europe a levé les droits d’importation sur les produits ukrainiens. Cette décision pour soutenir l’économie de guerre de l’Ukraine, reconduite dernièrement, jusqu’en 2024 perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volailles ou de sucre… perturbant toutes les filières et faisant baisser les prix. Les paysans européens paient cette politique!
Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau affirmait le 12 septembre qu’il ne voulait pas « envoyer de signaux hostiles à l’Ukraine » alors que les professionnels français de la volaille le pressaient d’intervenir contre le « déferlement » de poulets ukrainiens sur le marché français.
*Les importations du poulet ukrainien dans l’Union européenne ont explosé de plus de 127% par rapport à l’année dernière. Ces importations du poulet ne profitent pas au peuple ukrainien ni aux 8 millions d’agriculteurs ukrainiens qui vivent dans une détresse extrême.
*Le roi du poulet en Ukraine, c’est Yuriy Kosiuk, le PDG de MHP. À lui seul, il représente plus de 80% du poulet ukrainien qui arrive en Europe. L’entreprise, localisée à Chypre cotée à la bourse de Londres a un chiffre d’affaires de plus de 1,8 milliards de dollars sur son activité poulet en 2022 !
*Même chose pour les œufs : entre juillet 2022 et avril 2023, l’importation d’œufs ukrainiens est passée de quelques centaines de tonnes par mois à 5 000 tonnes.
*Une ouverture qui instaure une concurrence déloyale entre les producteurs du fait du faible coût de la matière première végétale pour nourrir les animaux, de la main-d’œuvre bon marché et des réglementations plus souples, l’Ukraine produit des poulets deux à quatre fois moins chers qu’en Europe.
*Une poignée de holding, les 5 000 tonnes d’œufs ukrainiens acheminés tous les mois par camions appartiennent à deux entreprises : Ovostar et Avangard. Elles se partagent presque dix millions de poules pondeuses(4) sur quatre sites du pays !
*Pour un autre produit agricole, les céréales, d’autres membres de l’Union européenne ont obtenu des dérogations : en avril, l’UE a autorisé la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie, à interdire la commercialisation de blé, maïs, colza et tournesol ukrainiens sur leur territoire
Relever le niveau de vie des agriculteurs(5)…
Le revenu des agriculteurs, est notoirement faible. Les agriculteurs travaillent beaucoup et vivent mal de leur métier. Les raisons de la colère sont multiples et concernent diverses revendications spécifiques selon les branches d’activité mais on retrouve cependant des revendications communes.
*La production d’aliments bio nécessite plus de main-d’œuvre (16 % du total du travail agricole pour 10 % des surfaces). Cette question du travail est centrale : moins de chimie, c’est plus de travail des communautés humaines, animales et végétales.
*Le modèle hyper-productiviste de l’agriculture française, vise surtout à conforter les rentes de situations des grosses exploitations et des multinationales qui dominent du secteur agricole dont est issu le président de la FNSEA. Les coûts sanitaires et environnementaux de ce modèle sont payés par le contribuable. La décision récente de l’État de retirer son projet de taxe sur l’usage des pesticides créé aussi, de facto, un avantage comparatif pour le conventionnel vis-à-vis du bio. Rien que le traitement de l’eau, lié aux pollutions agricoles, pour la rendre potable, coûte entre 500 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an à l’État. Ce que le consommateur ne paie pas au supermarché, le citoyen le paie avec ses impôts.
*L’enjeu semble permettre aux agriculteurs conventionnels de toucher les aides associées au plan de relance et à la nouvelle PAC créant une concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs bio, les aides publiques au maintien de l’agriculture biologique ont été supprimées en 2023.
*Un céréalier bio français reçoit un tiers de subventions en moins par unité de travail agricole qu’un céréalier conventionnel, alors qu’en Allemagne ou en Autriche, il recevrait 50 % de subventions supplémentaires.
*En France, l’État renonce aux taxes sur les pesticides tout en maintenant des charges sociales élevées sur le travail agricole, alors que c’est évidemment l’inverse dont aurait besoin la transition agroécologique.
Des enjeux qui militent en faveur d’un changement de politique agricole et de mode de production alimentaire, débarrassés du système d’exploitation capitaliste pour la préservation de la santé humaine et de la biodiversité. En maintenant des systèmes de productions dépendants des produits phytosanitaires, les agriculteurs sont les fantassins d’une guerre économique dirigée par les géants de la chimie et de l’agro-industrie qui met en danger la santé humaine à commencer par celle des paysans, et la fertilité même des sols qu’ils travaillent.
Pour changer la société, il est nécessaire avant tout d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’échange : entreprises industrielles et commerciales, sociétés financières, grandes banques, afin de mettre en commun ces moyens et confier aux travailleurs et au peuple leur entière gestion, ceci à tous les niveaux et ainsi développer l’économie pour la satisfaction des besoins de tous.
…et le pouvoir d’achat des consommateurs :
Une enquête du Crédoc révélait que 16 % des Français ne mangent pas à leur faim, une situation qui s’est accélérée depuis juillet 2022. En cause, la forte inflation sur les produits alimentaires.
Près d’un individu sur deux (45 %) déclare se restreindre sur ses dépenses alimentaires.
La précarité alimentaire touche particulièrement les jeunes adultes : 24 % des moins de 40 ans ne mangent pas à leur faim, contre 17 % des 50-59 ans. Parmi ces derniers, on retrouve davantage de femmes que d’hommes (18 % contre 14 %). L’enquête met aussi en évidence une précarité alimentaire qualitative. Celle-ci, précise l’étude, « n’est pas forcément liée à des problèmes financiers, mais aussi des temps d’organisation ou de régime alimentaire ».
Selon l’édition 2024 du Baromètre des nouvelles tendances de consommation de Wavestone(6), 32% diminueront leur consommation alimentaire cette année, le secteur alimentaire le plus touché par la hausse des prix.
Construire une riposte ensemble
La course aux profits des capitalistes broie les hommes, les précipite dans la précarité. Les richesses créées par le travail doivent revenir à ceux qui les créent. La question des salaires est un enjeu majeur de la lutte de classes il faut la mener sans compromission.
Pour gagner il faut développer un mouvement de grève large et puissant. Les agriculteurs montrent comme les travailleurs dans les usines ce sont eux qui font tourner les machines et produisent! Ils ont le droit d’exiger que les richesses créées par le travail leur reviennent.
La nécessité d’un plan de bataille s’impose avec la mobilisation de millions de travailleurs, de paysans, de jeunes permettant la lutte liant les attaques qui se préparent au seuil de l’année 2024, le retrait de la loi immigration la hausse des salaires…
La lutte économique et sociale de plus en plus forte, partout, la lutte tous ensemble, convergente, des grèves reconductibles.
La situation montre encore davantage l’exigence d’un véritable changement de politique et de société.
Le RN tente de récupérer la colère pour le scrutin européen de 2024. Bardella s'appuie sur un discours populiste en France et vote la loi Pacte agricole à Bruxelles. Le RN est un fer au feu du capital pour aller encore plus loin dans la destruction des conquêtes sociales de la classe ouvrière. Combattre ce parti est donc une tâche politique de première importance en montrant quelle est sa nature réelle : celle d’un parti du grand capital.
L’inflation et les salaires sont la préoccupation première des travailleurs, des paysans. Le mouvement ouvrier doit proposer un front de mobilisation sociale qui fasse la jonction avec la question des salaires, de l’appauvrissement des ménages. Seule une mobilisation qui unirait les travailleurs, les paysans, la jeunesse et l’ensemble des classes populaires permettrait de changer la dynamique actuelle et d’empêcher l’offensive du capital.
(1)En Allemagne les manifestations des agriculteurs reprendront si le gouvernement n’amende pas son projet d’augmentation des taxes sur le diesel agricole ayant entraîné une mobilisation massive de la profession, Les agriculteurs allemands se sont massivement mobilisés contre la réforme de la fiscalité sur le diesel agricole qui prévoit à partir de 2026 la suppression d’une exonération dont bénéficiait la profession.
(2) Au Royaume-Uni, les producteurs de fruits et légumes britanniques manifestent pour protester contre les contrats d’achats « injustes » qui les lient aux six principales enseignes de la grande distribution du pays. Ils affirment que près de la moitié d’entre eux devront cesser leur activité dans les douze prochains mois à cause du manque de régulation dans le secteur agro-alimentaire. Ces agriculteurs réclament que les « big six » – Tesco, Sainsbury’s, Asda, Morrisons, Aldi et Lidl – respectent « sans exception » leurs engagements en termes de volumes de produits achetés et de prix.
(3) Modef : Mouvement de défense des exploitants familiaux.
(4) Alors qu’un élevage français compte quelques dizaines de milliers d’animaux à plumes tout au plus — plusieurs centaines de milliers en Pologne, il peut dépasser le million en Ukraine, tout comme au Brésil ou en Thaïlande, également fournisseur de l’Union. L’énorme densité de poules pondeuses vivent dans des cages que nous trouvions en France avant 1995. Il y a donc une grosse distorsion de concurrence.
(5) – Fixer des prix planchers rémunérateurs garantis pour les produits agricoles,
– Créer un budget spécifique pour la souveraineté alimentaire,
– Encadrer les marges de la grande distribution, des transformateurs et l’agroalimentaire grâce au coefficient multiplicateur,
– Maîtriser les productions agricoles en instaurant des quotas afin de réguler la production,
– Stopper les négociations commerciales avec le TAFTA, CETA, MERCOSUR et la Nouvelle-Zélande,
– Le maintien de l’avantage fiscal du GNR sur les 10 000 premiers litres,
– Mettre en place un véritable plan d’urgence alimentaire anti-inflation.
(6) La tendance est plus forte dans la consommation d'énergie puisque 57% des Français se verront obligés de réduire leurs dépenses en électricité, 49% limiteront leur consommation d’essence et 45% diminueront leurs dépenses en gaz.
Mais c'est dans le textile que les intentions de modération sont les plus fortes. Les dépenses dans l’habillement vont baisser pour près de deux Français sur trois (64%), peut-on lire dans l'étude.
Quasiment tous les secteurs de la consommation sont orientés à la baisse. 39% des Français comptent réduire leurs dépenses dans les produits d’hygiène et de beauté. 68% des personnes concernées vont réduire leurs dépenses de loisirs, 66% pour l'électricité, 43% pour l'alimentation.
Pour autant, les arbitrages se font aussi dans les hauts revenus puisque 21% disent qu'ils vont réduire leurs dépenses alimentaires.