25 Février 2024
En quatrième vitesse, le gouvernement vient de décréter une cure d’austérité de 10 milliards d’euros. Les ministères de l’Écologie, de l’éducation et de la recherche vont payer le plus lourd tribut, avec à la clef, des milliers d’emplois publics en moins. En revanche, pas touche aux cadeaux faits aux entreprises.
Aussitôt annoncé, aussitôt fait. Ce jeudi matin, le décret signé par le Premier ministre détaillant, ministère par ministère, les 10 milliards d’euros de coupes budgétaires a été publié au Journal officiel. Soit quatre jours après l’annonce surprise d’une cure d’austérité faite par Bruno Le Maire, dimanche au journal de TF1. Et ce n’est peut-être pas la dernière de l’année puisque l’exécutif n’exclut pas, en plus du décret – lui évitant l’utilisation d’un énième 49-3 budgétaire – de procéder à un projet de loi de finances rectificatif autour de l’été.
Mais pourquoi un tel tour de vis précipité ? Le ministre de l’Économie a mis en avant une baisse de ses prévisions de croissance pour 2024, de +1,4 % à +1 %, tout en maintenant son objectif d’un déficit budgétaire de 4,4 % cette année. Pour y parvenir, le gouvernement s’entête dans son dogme libéral de baisse des prélèvements obligatoires – comprendre des recettes de l’État – avec des mesures particulièrement favorables aux entreprises et aux détenteurs de patrimoine, dont celle de la fin des impôts de production.
Derrière le chiffre un peu abstrait de 10 milliards d’euros se cache des réalités bien concrètes. Le décret publié ce jeudi précise poste par poste les économies arbitrées entre le Premier ministre et celui de l’Économie au cours de la semaine. Les politiques publiques en matière d’écologie, de développement et de mobilité durables sont rabotées de plus de deux milliards d’euros. Le travail et l’emploi sont allégés de plus d’un milliard, la recherche et l’enseignement supérieur de 904 millions, l’aide au développement de 742 millions, la cohésion des territoires de 736 millions et l’éducation de 691 millions.
De façon transversale à l’ensemble des ministères, les dépenses du titre 2, à savoir les dépenses en personnels de l’État, sont diminuées de plus de 780 millions d’euros. Sur celles-ci, l’Éducation nationale paye le plus lourd tribut : 306 millions, soit 40 % des économies totales de personnel. Conséquence : des milliers de postes d’enseignants en moins, bien plus que ceux annoncés au moment du projet de loi de finances à l’automne.
Une mesure en totale contradiction avec les annonces de Gabriel Attal fin décembre. A l’époque, le Premier ministre avait revu le « schéma d’emploi » en réduisant le nombre de suppressions dans le premier degré et en créant 594 postes dans le secondaire, pour accompagner son « choc des savoirs ».
Retournement de situation aujourd’hui. Selon les calculs de François Jarraud, le directeur de la publication du site Café pédagogique, les économies inscrites dans le décret publié ce matin équivalent à 2620 emplois d’enseignants non financés dans les écoles, 1740 dans les collèges et lycées et à 4600 postes d’AED et d’AESH. Soit presque 9000 emplois auxquels il faut ajouter 1760 postes dans le privé sous contrat, pour un total approchant les 11000 postes.
Mais les coupes dans l’emploi ne se limitent pas à l’éducation. Le ministère de l’Agriculture connaîtra aussi sa saignée avec 60 millions d’économies de personnels. D’autres emplois sont menacés par les coupes budgétaires dans la recherche. Ici, ce ne seront pas des emplois de fonctionnaires, mais plusieurs milliers de postes dans des organismes de recherche financés par l’État, comme le CNRS ou l’INRA, explique à Rapports de force, Arnaud Bontemps du Collectif nos services publics.
Ce doit être cela « l’écologie à la française », vantée par Emmanuel Macron. Après la mise sur pause du plan Ecophyto 2030, visant à diminuer de 50 % l’usage de pesticide dans six ans, puis l’abandon, annoncé hier par Gabriel Attal, de l’indicateur permettant de mesurer leur diminution, c’est au tour de la rénovation thermique de faire les frais des choix gouvernementaux.
Ainsi, le programme « Écologie, développement et mobilité durables » est amputé de plus de deux milliards, dont la moitié proviendra de « MaPrimeRévov » pour les propriétaires qui souhaitent réaliser des travaux de rénovation énergétique au sein de leur logement. Ensuite, près d’un quart des économies sera réalisé sur le Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, puis 341 millions sur les infrastructures et services de transports.
Autre ambition revue à la baisse : la cohésion des territoires. Elle se verra amputée de 358 millions d’euros sur son poste dédié à l’urbanisme, les territoires et l’amélioration de l’habitat. De même, les aides à l’accès au logement perdront 300 millions d’euros, malgré une crise du logement criante et après l’annonce controversée d’une remise en question de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), par Gabriel Attal au moment de son discours de politique générale.
Le champ du travail et de l’emploi n’est pas épargné avec plus d’un milliard de coupes. Les demandeurs d’emploi, déjà dans le viseur du gouvernement depuis des années, seront probablement encore concernés par la suppression de 227 millions de dépenses pour l’accès et le retour à l’emploi. De même que les salariés souhaitant se former ou se reconvertir, puisque 863 millions vont s’envoler pour « l’accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi ». Déjà, le gouvernement a annoncé que, dès cette année, les salariés devront participer au financement de leur formation dans le cadre du CPF pour 10 % de son coût.
Il n’est pas possible pour l’heure de détailler ici l’ensemble des conséquences qu’auront ses coupes budgétaires, qui s’étalent sur pas moins de 29 champs d’intervention de l’État. Mais il est certain qu’elles réserveront leurs lots de surprises désagréables pour les moins fortunés, les salariés, les chômeurs, etc. Parmi elles, l’aide au développement pour les pays les plus pauvres, déjà sous-dotée, sera encore réduite de 742 millions.
Un seul exemple illustre la dissymétrie des mesures prises selon qu’elle vise la population en général ou les entreprises. En matière de formation, les salariés seront mis à contribution pour la financer (CPF) pour un montant de 10 % de son coût. Cette mesure fera économiser 200 millions à l’État sur un dispositif total d’un montant de 2 milliards d’euros. A l’inverse, les aides aux entreprises pour l’apprentissage, dont se gavent indûment certains grands groupes, seront proportionnellement moins ponctionnées : 200 millions également, mais sur un montant global de 20 milliards d’euros. Soit 1 % au lieu de 10 % pour les salariés utilisant leur CPF.
De même, la recherche et l’enseignement supérieur se voient retirer 904 millions sans que le très controversé crédit d’impôt recherche, très favorable aux grandes entreprises, ne soit sollicité malgré son coût de 7 milliards en 2023. De même, la baisse, puis la fin, des impôts de production n’est pas remise en question à l’occasion de cette cure d’austérité. Elle représente pourtant un manque à gagner de sept milliards d’euros pour les recettes budgétaires. Plus globalement, c’est l’ensemble des politiques dispendieuses à l’égard des entreprises qui perdure. Pourtant, « pour faire des économies, il suffirait de s’attaquer aux 200 milliards d’aides aux entreprises. Mais pour cela il faut oser affronter les multinationales », s’est agacé Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, ce jeudi matin sur Twitter.