20 Février 2024
« La bombe sociale du logement a explosé » : l’accablant dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre
Logement : tous les signaux sont au rouge. 600 000 habitats indignes. 4,2 millions de personnes mal-logées en France. 8 351 personnes refusées par le 115 en hiver faute de place, parmi lesquelles près de 3 000 mineurs. 330 000 personnes à la rue, soit plus du double en 10 ans. Une crise « inédite » qui touche en plus d’un Français sur quatre. Effondrement de la production de logements, mobilité résidentielle en berne, hausse des taux d’intérêt et des coûts des travaux, factures d’énergie insoutenables, raréfaction des terrains à construire… Les annonces de Gabriel Attal sur le logement n’ont fait que raviver les craintes de la Fondation Abbé Pierre qui présentait son rapport annuel ce 1ᵉʳ février 2024. Celui-ci est accablant.
4,2 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel, selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre. Parmi elles : plus d’un million de personnes privées de logement, dont 330 000 sans domicile et environ 100 000 dans des habitations de fortune ; près de 2,9 millions de personnes « vivant dans des conditions de logements très difficiles », parmi lesquelles près 1,9 million dans des situations de « privation de confort ».
La Fondation Abbé Pierre parle de 2023 comme d’une année noire pour les mal logées. « L’effort public pour le logement consenti par l’État et les collectivités locales n’a cessé de baisser pour un atteint un point historiquement bas, d’1,6 % du PIB, loin des 2,2 % de
2010 », peut-on y lire. Soit 15 milliards d’euros de moins, chaque année.
Selon la Fondation Abbé Pierre, 2,4 millions de ménages étaient en attente d’un logement social en 2022. Un chiffre en expansion depuis les années 1980. En 1984, 678 500 ménages en attendaient. En 2017, le seuil de 2 millions de ménages en attente était franchi. « Entre 2017 et 2022, la baisse du taux de satisfaction annuelle des demandes HLM est générale, passant de 22 à 17 % pour l’ensemble des demandes de logement social et elle est particulièrement significative pour les ménages les plus modestes », détaille le rapport.
Surtout, « la disparition progressive du parc de logements très sociaux dans le patrimoine HLM ne laisse pas présager d’amélioration pour les années à venir ». Alors que 125 000 logements étaient financés en 2016, moins de 100 000 (93 000) l’ont été en 2023. Très exactement, la production de logements sociaux est passée de 125 000 par an en 2016 à 82 000 en 2023. Malgré ce constat toujours plus accablant chaque année, le Premier ministre compte s’attaquer à la clé de voûte du logement social dans notre pays, la loi SRU, qui s’applique depuis près de 25 ans.
Pour rappel, la loi SRU fixe un seuil minimum de 25% de logements sociaux dans les communes. Cela permet de lutter contre les « ghettos du gotha » (Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot), d’obliger les plus riches à accepter la mixité sociale près de chez eux. Les communes récalcitrantes s’exposent à une amende et d’autres sanctions en cas de non-respect de la loi. C’est le cas pour deux tiers d’entre elles. La plus emblématique : Neuilly-sur-Seine, dont Nicolas Sarkozy a été maire, qui n’a atteint que 1 % de son objectif chiffré (31 logements sociaux produits sur 2840 obligatoires).
« D’ici à 2025, toutes les communes soumises à la loi SRU doivent posséder au moins un quart de logements sociaux sur leur territoire. Nous proposerons d’ajouter pour une part les logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans ce calcul », a déclaré Gabriel Attal lors de son discours de politique générale. Une déclaration d’intention, sans imposer de sanctions plus dures pour les récalcitrantes, et qui ne va faire qu’aggraver la situation du logement social en France. Le Premier ministre aurait pu annoncer un grand plan de construction de logement sociaux, pour donner un toit aux millions de personnes en attente.
Au lieu de cela, il a annoncé « la plus grave régression dans la politique du logement depuis des années », selon les mots le député insoumis William Martinet, spécialiste de ces questions. Il s’agit de l’intégration des logements intermédiaires dans le décompte du quota de 25%. À noter qu’un logement intermédiaire peut atteindre 20 euros le m², soit 800 euros de loyer mensuels pour un appartement de 40 m². « On est loin du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes qui attendent un logement social. Par exemple, c’est un montant inaccessible pour une aide-soignante ou un chauffeur de bus », dénonce William Martinet.
« Sur 1 031 communes soumises à la loi SRU, 659 n’ont pas atteint leurs objectifs 2020-2022, soit 64 % des communes, alors qu’elles n’étaient que 47 % dans ce cas-là trois ans plus tôt », écrivait la Fondation Abbé Pierre dans un rapport publié en décembre 2023. L’intégration des logements intermédiaires dans le décompte du quota de la loi SRU va décourager largement les communes récalcitrantes à construire des logements sociaux, au détriment des plus pauvres. Surtout, la prise en main à 100% par les maires des premières attributions de logements sociaux, également annoncée par Gabriel Attal, favorisera à la fois le clientélisme et la ségrégation sociale. Pendant ce temps, 2,4 millions de ménages attendent toujours un logement social.
150 000 en Outre-mer, plus de 400 000 en métropole : la France compte au moins 600 000 logements indigne. Plus d’1,5 million de Français sont touchés par ce phénomène. « Plus que son ancienneté, c’est bien le défaut d’entretien du bâti qui est à l’origine de la dégradation de nombreux bâtiments », explique le rapport de la Fondation Abbé Pierre. Au profit des périphéries des villes, les centres anciens des villes « se trouvent confrontés à un double mouvement de dégradation de l’habitat et de paupérisation des habitants ». Le gonflement argileux des sols participe à la détérioration des habitats.
L’immense majorité des propriétaires d’habitat indigne sont des ménages aux faibles ressources, se retrouvant cloués au mur, n’ayant pas anticipé les coûts du bâtiment. Résultat : « c’est très difficile d’en sortir », souligne Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
Au-delà des conséquences désastreuses de l’habitat indigne sur la santé, ce phénomène tue. La ville de Marseille est encore traumatisée par l’effondrement de deux immeubles dans la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018. « Comme le montre l’écart abyssal entre le nombre de logements indignes et le nombre de procédures engagées pour en sortir ou le nombre de logements traités chaque année, l’habitat indigne est le parent pauvre de l’action publique », dénonce la Fondation.
Nous étions revenus dans nos colonnes sur la situation du sans-abrisme en France début janvier 2024. Une vague de froid est venue frapper le pays, tuant plusieurs personnes, les deux premières personnes du mois de janvier. Pour rappel, en 2022, au moins 624 personnes sont décédées dans la rue, selon le collectif « Les Morts de la Rue ». La France compte 330 000 personnes sans-abris, dont 3 000 enfants. En 2012, la France en comptait… 143 000. En 10, le nombre de SDFs plus que doublé dans notre pays. Le problème est urgent, constant, et s’aggrave d’année en année. Il ne réapparait que sous la ligne de l’urgence dans le débat public. Le rapport de la Fondation Abbé en refait état cette année.
Attal a-t-il évoqué ce sujet lors de son discours de politique générale ? Pas le moins du monde. Les morts dans la rue, ceux qui n’ont pas de toit au-dessus de leur tête, le pouvoir y reste indifférent. Souvenez-vous, en juillet 2017, Emmanuel Macron disait : « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici à la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus ». Cette promesse a été littéralement passée à la trappe.
« La politique, ça consiste uniquement à savoir à qui on va prendre le fric et à qui on va le donner » disait l’Abbé Pierre (retrouvez ici son appel historique dans l’hiver 1954). Dans la 7ᵉ puissance économique, des centaines de personnes meurent dans la rue et des millions sont mal-logées. Cela ne peut plus durer. Plus que jamais, il est temps de réquisitionner les logements vacants et débloquer les milliards d’euros nécessaires pour le logement.