2 Mars 2024
Le droit à l’avortement comme le droit des femmes à disposer de leur corps sont des droits inaliénables qui ne doivent jamais être des variables d’ajustement des vents politiques. La France se veut porteuse d’une grande cause et d’une diplomatie féministe à l’offensive dans un monde de régressions nettes pour les droits des femmes.
Ne pas constitutionnaliser l’IVG reviendrait dès lors à passer à côté d’un moment historique. Nous le savons et c’est documenté, l’interruption volontaire de grossesse n’est pas un acquis intangible dans le monde. Bien au contraire, de nombreux pays ont fait le choix soit de l’interdire, soit de l’abolir, au premier rang desquels les États-Unis par une décision de la Cour suprême en juin 2022, après cinquante ans d’un droit protégé. Depuis, des millions de femmes se trouvent dans des conditions sanitaires et morales désastreuses mettant en jeu leur vie afin de pouvoir faire un choix aussi décisif pour leur existence.
Chaque année, dans le monde, 7 millions de femmes sont hospitalisées à la suite d’un avortement réalisé dans de mauvaises conditions et 39 000 y laissent leur vie.
En 2023, 88 pays autorisent le recours à l’interruption volontaire de grossesse, sur demande et sans restriction ou pour des raisons socio-économiques. Cependant, ce droit demeure restreint, voire inexistant dans 24 pays dans lesquels l’avortement est strictement interdit ; dans 41 pays, il est autorisé seulement pour sauver la vie de la mère ; dans 49 pays, il est autorisé pour des raisons de santé.
Pourtant, décider d’avorter, c’est exercer en tant que femme un droit humain fondamental lié à sa santé, à son intégrité physique, à sa faculté à prendre des décisions en toute autonomie pour se projeter dans l’avenir. C’est aussi un enjeu d’égalité et de justice sociale puisque les femmes les plus précaires et les plus vulnérables ne peuvent pas toujours voyager ou s’acquitter de montants élevés pour bénéficier de ce droit. Elles sont donc assignées à résidence aux prises d’un destin conditionné par des hommes majoritaires au pouvoir qui légifèrent et tranchent pour elles.
À celles et ceux qui soulignent la prétendue « légèreté » de ce choix, rappelons que l’IVG n’est pas une promenade de santé. C’est un « drame » qui n’est « jamais fait de gaieté de cœur », comme le rappelait Simone Veil, digne et infiniment courageuse, devant une Assemblée nationale peu acquise à sa cause lors du vote pour la dépénalisation de l’avortement, en France, en 1974.
Cinquante ans se sont écoulés : cinquante ans qui auraient pu ancrer l’irréversibilité de ce droit. Au lieu de cela, les mouvements conservateurs et anti-droits n’ont jamais été aussi vivaces, obligeant les défenseur·e·s des droits humains à redoubler d’engagement et de pédagogie auprès des décideurs et du grand public. La bataille pour l’accès à l’IVG est aussi une bataille de l’information : aller au-delà des idées préconçues, démanteler une forme de doxa sociale pour que le sujet puisse être entendu et considéré par des femmes – souvent jeunes – en proie à des croyances familiales à l’opposé de leur projet de vie.
Aussi, le contexte relatif au droit à l’avortement est le même que pour tant d’autres sujets : dès que l’engagement est moins soutenu, les droits sont battus en brèche, tanguent et souvent succombent à un contexte volatil ou d’adversité. Aux données factuelles et au-delà des débats sur les termes juridiques entre « droit » et « liberté » succède une question : en quoi la constitutionnalisation de l’IVG qui n’oblige quiconque à y avoir recours mais en garantit la possibilité constituerait-elle un problème ? Et pour qui ? Si certains, femmes ou hommes, jugent la mesure inutile et inconséquente, pourquoi mettent-ils autant d’énergie à l’empêcher d’advenir ? Y aurait-il une limite à opposer par principe au respect des droits fondamentaux des femmes ? Mais sous quel principe agirait-on dès lors ?
En constitutionnalisant l’IVG, la France fera preuve de cohérence entre ses positions en matière de droits des femmes et ses pratiques. Elle incarnera, sur ce thème, une forme de leadership mondial, à la pointe de ce sujet de société. Elle fera vivre la « diplomatie féministe » en garantissant sur son propre territoire des pratiques égalitaires prônées par ailleurs avec assertivité.
Enfin, elle se montrera à la hauteur d’un moment historique qui, sans une volonté claire et le soutien de la représentation nationale, peut douloureusement se dissoudre dans les turpitudes de l’histoire.