21 Avril 2024
ENTRETIEN. Léon Deffontaines, tête de liste communiste aux élections européennes, trace pour Euractiv les grandes lignes de son programme. En rupture avec ses adversaires de gauche, il revendique la nécessité de produire plus grâce au nucléaire, tout en sortant des accords commerciaux. Sa stratégie : fédérer les « orphelins » du « non » au traité constitutionnel européen (TCE) de 2005.
La liste menée par Léon Deffontaines regroupe le Parti communiste français (PCF), la Gauche républicaine et socialiste (GRS) fondée par l’eurodéputé Emmanuel Maurel, L’Engagement, mouvement créé par l’ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg et Les Radicaux de Gauche. Au Parlement européen, les communistes font partie du Groupe de la Gauche, actuellement co-dirigé par Manon Aubry (La France Insoumise).
Euractiv France. Vous êtes venus à Bruxelles le 3 avril pour rencontrer les dockers, manifestant contre le paiement des quotas de carbone qui les concerne depuis le 1er janvier 2024, et plus généralement contre la perte de compétitivité des ports européens. Que leur avez-vous dit ?
Léon Deffontaines. Ceux qui font du transbordement [transit de marchandise] comme à Fos-sur-Mer ou Barcelone, seront très impactés par ces règles en matière d’émission carbone. La concurrence déloyale va s’accentuer entre les ports européens et extraeuropéens.
Aussi, les financements européens – peu transparents et portés sur l’automatisation – doivent rendre nos ports et docks plus productifs. 10 milliards d’euros sont nécessaires, selon leur syndicat. Il faudra également les rattacher au réseau ferroviaire pour irriguer l’ensemble du continent.
Contrairement à vos adversaires de gauche, comme La France Insoumise (LFI), vous assumez vouloir produire plus. Cela ne contrevient-il pas aux ambitions environnementales de la France et de l’UE ?
Nous avons un cadre au niveau européen, qui est la neutralité carbone en 2050 avec le Pacte vert. Pour y parvenir, il faut engager de grands travaux utiles et vertueux sur le plan environnemental, économique et social : la rénovation thermique des bâtiments, les services publics de proximité, le transport fluvial ou ferroviaire par exemple.
C’est la raison pour laquelle nous défendons la liaison ferroviaire Lyon-Turin, le seul nœud qui manque dans la ligne Cadix-Lisbonne-Budapest.
La France Insoumise, elle, porte un projet politique décroissant. Nous sommes les seuls à gauche à dire qu’il faut produire plus et réindustrialiser le pays.
La réindustrialisation nécessite une forte production d’énergie, en particulier d’électricité. Le nucléaire est-il incontournable ?
Si l’on sort du nucléaire, il faudra soit rouvrir des mines et des centrales à charbon, soit faire du 100 % renouvelable. Dans ce dernier cas, un manque de vent ou de soleil pourra affecter nos usines, nos services publics. Un haut-fourneau ne se relance pas facilement après une coupure !
Il n’y aura pas de réindustrialisation du pays sans énergie pilotable, donc nucléaire.
Vous revendiquez une forme « d’autonomie stratégique », qui est également un objectif politique de l’UE. Quelle est votre conception ?
L’autonomie est indispensable pour nous redonner une capacité à produire sur le territoire national. Nous devons réaffirmer avec force la notion de subsidiarité : l’UE ne peut pas légiférer sur tout.
C’est le cas sur la question énergétique notamment. Le marché européen de l’électricité, tel qu’il fonctionne, a fortement pénalisé la France en indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz.
Il faut aussi moins d’Europe sur le budget. La règle des 3 % de déficit du pacte budgétaire n’est en aucun cas un vecteur de progrès social.
Que répondez-vous à vos adversaires de gauche, comme Raphaël Glucksmann (Parti socialiste – Place publique) qui prône plus d’intégration européenne pour avancer sur les questions sociales ?
Cela fait 30 ans qu’on nous vend l’« Europe sociale ». Il y a eu des avancées sur les travailleurs détachés par exemple, et je m’en réjouis. Mais cela aurait pu se faire dans le cadre d’une coopération.
Je dis aussi à Raphaël Glucksmann que même s’il fait 25 % le 9 juin prochain, dans une Europe qui tire de plus en plus à droite, plus d’intégration européenne remettrait en cause nos modèles sociaux.
Y a-t-il des domaines dans lesquels l’échelon européen est pertinent ?
La souveraineté alimentaire doit se régler à l’échelle européenne.
Aujourd’hui personne ne remet en question l’existence de la PAC (Politique agricole commune). Mais pour assurer notre souveraineté, nous devons, premièrement, mettre fin à la concurrence déloyale en sortant de tous les accords commerciaux avec les pays tiers. L’agriculture ne doit plus être une monnaie d’échange – pommes contre lithium au Chili par exemple –, car cela entraîne des fermetures d’exploitations.
Deuxièmement, il faut assurer des prix planchers et fixer de nouveaux quotas de production, comme cela se faisait avant dans la PAC.
L’accord commercial de l’UE avec le Canada (Ceta) vient d’être rejeté par le Sénat, et le gouvernement refuse de déposer le texte à l’Assemblée nationale, de peur que les députés de votre parti le soumettent au vote lors d’une niche parlementaire le 30 juin prochain, à une semaine des Européennes. Que comptez-vous faire ?
Si le gouvernement refuse de le mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée avant les élections, nous userons de tous les artifices possibles. Nous pourrions, par exemple, faire voter une résolution pour contraindre le gouvernement.
En tout cas, il est hors de question de ne pas faire de ce sujet un sujet de la campagne européenne.
Le Ceta est une fraude démocratique. Cela fait 7 ans qu’il est mis en œuvre de manière temporaire, sans avoir été ratifié par le parlement français. Si le gouvernement trouve que cet accord est si bien, pourquoi ne le soumet-il pas à l’Assemblée ? De quoi a-t-il peur ?
Comment vous positionnez-vous sur l’élargissement européen ? Êtes-vous pour l’intégration de l’Ukraine dans l’UE ?
L’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, c’est la ligne rouge. Nous sommes encore en train de ramasser les pots cassés du dernier élargissement. La Slovaquie, la Pologne, la Roumanie disposent d’une main-d’œuvre moins chère, les travailleurs européens sont ainsi mis en concurrence. En Ukraine ou en Moldavie, le salaire minimum est à moins de 200 euros.
Avant toute intégration, il faut donc régler le problème de la concurrence déloyale.
De toute façon, cet élargissement ne se fera jamais. L’UE en sortirait fracturée, car les peuples le rejetteraient massivement.
Le « Frexit » fait-il partie de vos options ?
Non. Le Royaume-Uni mène aujourd’hui la même politique libérale que lorsqu’il était dans l’UE. Cela montre que ce n’est pas la solution. Les Français sont hostiles à l’UE parce qu’elle s’est construite sur une fraude démocratique.
Quand nous voyons le « traité constitutionnel européen» (TCE) [rejeté par la France lors du référendum de 2005] ou encore les traités de libre-échange non ratifiés par le parlement, il est normal que les Français n’aient plus confiance.
Rejettent-ils le pacte budgétaire, l’intégration de l’Ukraine ? Posons-leur directement ces questions par référendum plutôt que de sortir de l’UE, et construisons une autre Europe.
Vous voulez fédérer vos électeurs autour du « non » au TCE de 2005. Pourquoi faire ressurgir un clivage qui a plus de 20 ans ?
À l’époque, la gauche avait voté à 60 % en faveur du non. Elle s’était rendu compte que les ouvriers et les agriculteurs étaient victimes de cette Europe libérale. Depuis, la gauche s’est perdue dans des débats de société au détriment des questions sociales.
François Hollande, Raphaël Glucksmann, Marie Toussaint ont le même projet européen : ils sont les alliés de la construction libérale de l’UE. De son côté la France Insoumise ne parle que de NUPES, accueille des écologistes, des gens qui ont fait campagne pour Emmanuel Macron… Certains ont un projet fédéraliste !
Enfin je m’adresse à ma génération. Celle qui n’avait pas l’âge de voter le TCE, encore moins le traité de Maastricht (1992). Nous n’avons jamais été consultés sur la construction européenne.