29 Mai 2024
Pour « aller vers le plein-emploi » et « valoriser encore plus le travail », les règles d'indemnisation de l'assurance-chômage vont être à nouveau durcies à partir 1er décembre 2024, a annoncé Gabriel Attal. Explications.
Le nouveau tour de vis à l'assurance-chômage sera effectif le 1er décembre 2024. Alors que Macron a promis le plein-emploi en France à la fin de son mandat - soit un taux de chômage de l'ordre de 5 % de la population active contre 7,5 % fin 2023 - (ce qui reste énorme si on prend en compte l'ensemble des demandeurs d'emplois qui sont de l'ordre de 6 millions), le 1er ministre Gabriel Attal a confirmé le 27 mars 2024, souhaiter une nouvelle réforme « globale » de l'assurance-chômage.
« Mon objectif, ce n'est pas de m'en prendre à tel individu ou aux chômeurs, c'est de faire bouger un système pour inciter davantage à la reprise d'emploi », avait défendu le Premier ministre. En résumé un privé d'emploi doit coûter le moins cher possible (indemnisation moins élevée et période plus courte) même s'il cotise ou a cotisé et retourner le plus vite possible au travail quitte à accepter n'importe quels emplois consécutivement pendant 18 ou 24 mois de suite.
A « La Tribune dimanche » , le 26 mai 2024, Attal a présenté les principales mesures, avec des conditions d'accès à l'indemnisation durcies et une durée d'indemnisation raccourcie. Pour lui, « ce n'est pas une réforme d'économie, mais de prospérité et d'activité ». « Le gain se mesurera par un nombre plus important de Français qui travailleront. Et donc plus de financements pour notre système », a-t-il assuré.
Ce nouveau tour de vis est rejeté par une galaxie d'opposants, les syndicats, les partis de gauche et RN et d'autres. Ils dénoncent tant la forme que les objectifs de la réforme. « C'est le pire durcissement des conditions d'indemnisation qui soit mis en oeuvre depuis toujours », selon FO, qui veut attaquer les futures règles devant le Conseil d'Etat.
Selon le ministère du Travail, le gouvernement attend de la réforme 3,6 milliards d'économies et projette une augmentation « de 90.000 le nombre de personnes en emploi ». Rapporté à 6,2 millions inscrites, cela fait 1,45%. Ainsi chaque personne occupée et qui n'est plus inscrite au chômage permet une économie de 40 000 € ! soit 3 333€. Il semblerait selon la ministre du travail que les chômeurs français soient "fortunés". Espérons que le salaire offert lorsqu'ils cherchent un emploi sera du même niveau ou au minimum à 3000€ ! Arrêtons de plaisanter et recommandons à la ministre du travail de vérifier ses chiffres.
Enfin quant à l'efficacité de la réforme, c'est très surprenant. En mettant 1,45% de personnes au travail, il en restera 98,45% privées d'emploi. Tout ce bruit pour ça !!
Le gouvernement prendra un décret le 1er juillet pour que la réforme « puisse entrer en vigueur le 1er décembre ». Changer les règles d'indemnisation nécessite une mise à jour des systèmes d'information de France Travail (ex-Pôle Emploi) qui ne peut être faite du jour au lendemain.
Pourquoi une nouvelle réforme ? Quelles règles vont changer ? Comment est accueilli le projet ? Réponses ci-dessous.
Pourquoi une nouvelle réforme ?
L'assurance-chômage est pilotée par les partenaires sociaux - les syndicats et le patronat - via l'Unédic. Ils renégocient les règles tous 3 ans. Pour réformer les paramètres de l'assurance-chômage, le gouvernement n'a pas besoin de passer par le Parlement, il saisit les syndicats d'une négociation, via « une lettre de cadrage ». En cas d'échec des discussions, il peut reprendre la main par décret. Après 2019, c'est ce qui se produit.
En effet la précédente convention qui devait fixer les évolutions des règles d'indemnisation des chômeurs pour la période 2024-2027, négociée à l'automne 2023 par les partenaires sociaux, n'a pas été signée. Pour tenir compte de la réforme des retraites et du relèvement de l'âge de départ à 64 ans , les syndicats avaient donné leur aval à la modification des règles d'indemnisation des chômeurs âgés, mais en posant une condition : que le patronat prouve, à l'occasion d'une autre négociation sur les parcours professionnels et l'emploi des seniors qui allait s'ouvrir, qu'il allait favoriser le maintien en emploi des salariés en fin de carrière. Laquelle négociation s'est finalement soldée par un échec le 10 mars 2024, échec qui a fait tomber cet arrangement et à révéler un patronat qui racontait des histoires.
Le gouvernement a considéré que la convention d'assurance-chômage de novembre 2023 était morte-née. Le ministère du Travail a alors annoncé le 22 avril qu'il allait reprendre la main. Sous la pression de Macron, le calendrier s'est accéléré : à l'issue des rencontres entre la ministre du Travail et les partenaires sociaux, Gabriel Attal a dévoilé le contenu de la réforme.
Beaucoup les choses ont changé depuis 2017 en matière d'assurance-chômage : la réforme de 2021 a revu le mode calcul de l'allocation, augmenté le nombre de mois nécessaires pour être couvert et instauré une dégressivité pour les hauts salaires. Celle de 2023 a introduit une modulation de la durée d'indemnisation en fonction de la conjoncture (contracyclicité : plus de protection des chômeurs quand les embauches se font rares, plus d'incitation à reprendre un emploi quand il abonde).
Les conditions d'accès à l'indemnisation sont durcies et la durée d'indemnisation raccourcie :
Ouverture de droits :
Actuellement, pour ouvrir des droits, il faut avoir travaillé 6 mois au cours des 24 derniers mois, qui constituent la période de référence d'affiliation. A partir du 1er décembre, il faudra avoir travaillé 8 mois sur une période de référence de 20 mois seulement.
L'Unédic n'a pas évalué l'impact de cette hypothèse gouvernementale. Mais elle a calculé que si ce critère d'affiliation avait été relevé à 12 mois, l'économie aurait été de 2,3 milliards. Diminuer la période de référence de 24 à 18 mois aurait permis de réaliser des économies comprises entre 5,1 milliards et 7,5 milliards d'euros.
Durée d'indemnisation :
La durée maximale d'indemnisation sera réduite de 18 à 15 mois pour les moins de 57 ans « dans les conditions actuelles », c'est-à-dire si le taux de chômage continue à évoluer dans une fourchette comprise entre 6,5 % à 9 % de la population active.
Seniors :
Actuellement les salariés âgés de 53 et 54 ans peuvent être indemnisés jusqu'à 22,5 mois, et ceux âgés de 55 ans et plus jusqu'à 27 mois. Le premier palier disparaîtra et le bénéfice d'une indemnisation plus longue sera réservé aux chômeurs âgés de 57 ans et plus.
La proposition des partenaires sociaux de créer un CDI senior sera étudiée » et la ministre du Travail lancera des négociations après l'été, pour un texte de loi d'ici à la fin de l'année. On est pressé pour réduire les moyens de vie des privés d'emplois mais pour sécuriser l'emploi les mêmes sont moins pressés !
Un « bonus emploi senior » pour cumuler salaire et allocation :
Afin d'inciter les seniors au chômage à reprendre un emploi sachant qu'à partir de 60 ans c'est pratiquement impossible, le gouvernement crée un « bonus emploi senior » pour accompagner la reprise d'emploi : il permettra de compléter pendant un an un salaire moins élevé que le précédent. Ce complément versé par l'assurance chômage permettra de compenser le manque à gagner pour les salaires jusqu'à 3.000 euros ce qui pénalisera nombre de cadres.
Mensualisation :
Au lieu d'être calculée en fonction du nombre de jours dans le mois (entre 28 et 31), l'allocation versée devrait à l'avenir être la même tous les mois pour un chômeur n'ayant pas travaillé sur la période, sur une base de 30 jours. Cela fera perdre 5 ou 6 jours d'indemnisation aux chômeurs n'ayant pas travaillé sur une année entière.
Il faut être vicieux ou patron pour trouver un tel truc pour voter les gens !
Modulation :
En vertu du principe de « contracyclicité », qui s'applique depuis février 2023, la durée d'indemnisation des chômeurs est réduite de 25 % lorsque le taux de chômage reste au-dessous de 9 %. Ce taux est actuellement de 7,5 %.
Cette modulation sera renforcée si le taux de chômage descend en dessous de 6,5 %, ce qui permettrait de dégager de l'ordre de 3 milliards d'économies supplémentaires. La durée d'indemnisation des chômeurs de moins de 57 ans serait alors réduite de 40 %, passant à 12 mois maximum. Imaginons, tous les salariés qui vont être licenciés et qui sont âgés de 54 à 57 ans ! C'est une catastrophe sociale qui se prépare !
Bonus-malus :
Promesse de campagne de Macron en 2017, le bonus-malus est un dispositif contesté par le patronat qui vise à lutter contre l'abus de contrats courts. Il concerne les entreprises de 11 salariés et plus de 7 secteurs très consommateurs de contrats courts (comme l'hébergement et restauration ou les transports et entreposage). Il s'agit de moduler la contribution patronale d'assurance chômage - 4,05 % de la masse salariale - à la hausse (malus) ou à la baisse (bonus), en fonction « du taux de séparation » des entreprises, comparé au taux médian de leur secteur. La ministre du travail mènera une concertation pour identifier les secteurs qui auront vocation à entrer dans ce système et à quel rythme. Histoire de ménager un peu le patronat.
Comment est accueilli le projet ?
L'idée d'une telle nouvelle réforme a fait bondir les syndicats. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a fustigé une réforme de l'assurance-chômage « injuste, injustifiée » et « la plus violente » depuis sept ans. « Une réforme criminelle avec des millions de familles qui [vont] basculer dans la pauvreté ».
Elle regrette notamment la mise en place d'un « bonus » senior : « Je plains les seniors de 55 ans qui seraient en recherche d'emplois face à des seniors de 57 ans », disant redouter un « effet d'aubaine ». « C'est vraiment un cadeau au patronat pour baisser le salaire des seniors ».
Pour Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT en charge de la protection sociale. En quoi les chômeurs ont-ils joué un rôle dans la hausse du déficit que l’exécutif a été incapable de prévoir ? C’est la politique économique du gouvernement qui est en échec : les saignées libérales n’ont pas produit leurs effets et voilà qu’ils nous expliquent que nous aurions besoin de nouvelles saignées.
Toutes les études montrent que la réduction des droits des chômeurs, fil rouge de la politique macroniste, n’a aucun effet sur le niveau de l’emploi. En revanche, on sait que ces réformes ont favorisé l’appauvrissement des personnes concernées. Il s’agit à la fois de réaliser des économies sur le dos de la protection sociale, tout en obligeant les privés d’emploi à accepter des emplois dégradés. Dans les États autoritaires, les pouvoirs en place inventent les chiffres. Dans les États démocratiques, ils mettent en avant les chiffres qu’ils veulent.
L’exécutif ne cesse de communiquer sur le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) ou sur les inscrits à Pôle emploi comptabilisés dans la catégorie A, c’est-à-dire des gens qui n’exercent aucune activité. Mais je rappelle que, sur 6,2 millions de personnes inscrites à France Travail (ancien Pôle emploi), plus de la moitié passent d’un petit boulot à un autre.
Les catégories B et C (personnes exerçant une activité réduite) sont invisibilisées, or ce sont celles qui ont le plus augmenté depuis les années 1980. D’ailleurs, lorsque les gens quittent la catégorie A, c’est souvent parce qu’ils ont retrouvé un petit boulot, ce qui les fait basculer dans les autres catégories. Cette précarité n’est jamais montrée.
Le gouvernement s’en prend à de nouvelles cibles. Depuis le 1er février 2023, la durée maximale d’indemnisation a été réduite par décret de 25 % : les plus touchés sont les seniors, qui se retrouvent souvent à Pôle emploi après avoir perdu leur poste en CDI. J'insiste sur les effets combinés de la réforme des retraites et de cette baisse de la durée d’indemnisation. De nombreux chômeurs âgés de 55 ans et plus vont se retrouver avec 27 mois d’allocations seulement, contre 36 mois dans l’ancien système. Ils vont donc perdre neuf mois de chômage, mais ils risquent aussi de se voir priver d’ASS (allocation de solidarité spécifique, destinée aux chômeurs en fin de droits – NDLR), que le gouvernement a promis de supprimer.
Enfin, ils subiront les effets du report de l’âge de départ à la retraite. Autrement dit, des milliers de chômeurs âgés d’une soixantaine d’années risquent de se retrouver sans rien, ni emploi ni allocation.
La secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, a elle aussi exprimé sa « colère » : « L'assurance-chômage, ça existe depuis 1958, on a toujours agi en responsabilité et aujourd'hui on assiste à un détricotage en règle d'un certain nombre de protections. Je trouve honteux que le gouvernement se cache derrière le plein-emploi pour faire une réforme purement budgétaire », a-t-elle déclaré. Les jeunes seront les premiers affectés par la réforme, a-t-elle dénoncé.
« C'est une réforme populiste », a cinglé le secrétaire général des cadres de la CFE-CGC François Hommeril, accusant, lui aussi, le gouvernement de mentir pour « faire les poches » des salariés en stigmatisant les chômeurs. il a notamment dénoncé le « bonus à la reprise d'emploi » pour les seniors et le plafonnement des indemnisations des chômeurs proches de la retraite, y voyant une mesure « anti-cadres » et « insupportable ».
« C'est le pire durcissement des conditions d'indemnisation qui soit mis en oeuvre depuis toujours. Quand les partenaires sociaux avaient la main, il fallait avoir travaillé quatre mois dans les 28 mois, et là on passe à huit mois dans les 20 », a relevé Michel Beaugas de Force ouvrière. « Ca va faire baisser de plus de 15 % les demandeurs d'emploi qui entreront dans l'indemnisation chômage, c'est-à-dire qu'on va laisser dans la précarité et la pauvreté des demandeurs d'emploi précaires déjà », a-t-il ajouté.
Côté patronat, le président du Medef, Patrick Martin, a affiché son « soutien à la réforme » tout en se disant opposé « à une généralisation ou même à une simple extension du bonus-malus ».
Il « fallait des mesures incitatives à la reprise d'un emploi, après, ce n'est pas la révolution non plus, on reste un des systèmes les plus généreux au monde », a estimé le secrétaire général de la CPME, Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. La confédération butte en revanche contre l'extension envisagée du système de bonus-malus, y voyant une « contrepartie politique ».
Sondage : Le projet ne suscite l'adhésion que d'une courte majorité des Français, selon un sondage Elabe pour « Les Echos » et l'Institut Montaigne, publié le 4 avril. Mais la connaissance des mesures, les indécis comme certains favorables ne vont pas hésiter à glisser dans l'opposition.