15 Juillet 2024
Massacres, crimes contre l’humanité, génocides et hypocrisies sémantiques
Depuis le 7 octobre dernier, les défenseurs du peuple palestinien littéralement écrasé sous par les bombes israéliennes subissent une inversion accusatoire grossière et systématique, afin de les intimider, de la part des médias alignés sur la ligne politique sioniste et des autorités politiques et judiciaires de plusieurs pays occidentaux dont la France.
Reprocher à quelqu’un qui condamne un massacre en cours de n’avoir pas condamné un autre massacre quand il se produisait est une manière de soutenir ce massacre en cours. Les journalistes, les politiciens et les tribunaux qui accusent les défenseurs des Palestiniens de ne pas avoir condamné le massacre des civils israéliens par le Hamas le 7 octobre dernier se font les complices du génocide en cours à Gaza.
Ce n’est plus la peine de se torturer la conscience en se demandant comment ces Allemands compatriotes de Beethoven ou de Kant, nos alter-ego si cultivés et si civilisés, ont pu laisser faire le nazisme, il suffit d’écouter comment s'expriment ces journalistes, ces politiciens et ces tribunaux.
Qu’est ce que ça signifie d’ailleurs « condamner », tout le monde se fiche bien de savoir si on « condamne » de manière totalement inefficace les crimes commis dans une guerre étrangère, et d’ailleurs ça ne sert pas à grand-chose non plus de « condamner » le génocide en cours à Gaza, il faut demander qu’il cesse immédiatement et pour cela qu’un cessez-le feu soit imposé effectivement à Israël par ceux qui peuvent le faire, c’est à dire par les États-Unis.
Sur la question de l’emploi du terme « génocide » pour caractériser les massacres qui ont lieu tous les jours à Gaza du fait des bombardements massifs de l’armée israélienne, depuis plus de 200 jours, et dont le bilan s’élève à au moins 35 000 tués dont 15 000 enfants, il y a bien entendu toute une série d’arguties sémantiques destinées à noyer le poisson, mais si on se réfère aux définitions du droit humanitaire international, pour ce qu’il vaut, tel qu’il existe et tel qu’il est défini dans les institutions internationales, comme le fait Rima Hassan, il ne fait pas de doute qu’on peut l’employer sans hésiter.
Exterminer les journalistes, les médecins, les intellectuels et leur famille, affamer, priver de soins, et tuer des enfants par milliers etc., on appellera ça comme on voudra en fait. Si ce n’est pas désigné comme un « génocide » on pourrait donc continuer ?
Ce serait plus grave et important de qualifier le meurtre de 15000 enfants de génocide que de commettre ces meurtres ?
Le terme n’est pas brandi dans la polémique pour établir des qualifications juridiques pour les besoins d’une justice internationale à géométrie variable qui de toute manière n’est qu’une comédie à l’usage de la propagande impérialiste – et Netanyahou peut bien servir de variable d'ajustement pour en préserver la crédibilité douteuse, ça ne changera rien. Il est employé pour sa charge émotionnelle et sa valeur de propagande : il s’agit d’enlever à Israël un statut implicite mais évident d’exception morale : il revendique de représenter les juifs et comme tel il aurait le droit pour « se défendre » de s’affranchir de règles qui s’imposeraient au reste du monde, à cause du génocide subi par les juifs de 1941 à 1945 en Europe sous occupation nazie – même dans des contextes qui n’ont aucun rapport avec ce génocide et contre des gens dont les grands-parents n’étaient même pas nés et auquel les ancêtres n’ont pris aucune part.
Il n’est donc pas permis de lui reprocher d’avoir rayé l’État palestinien de la carte « de la rivière à la mer », sous peine d’être accusé du projet de faire de même avec Israël qui en a occupé l’espace, comme s'il s'agissait de réitérer le plan d'extermination nazi.
Bref accuser Israël de génocide preuves à l’appui c’est lui retirer cet avantage moral qui le mettrait au dessus de toute critique et de tout soupçon et lui permettrait de continuer ses sanglantes voies de faits contre les Palestiniens qui durent depuis sa fondation en 1948.
Le génocide subi par les juifs et incorporé à sa mémoire historique par Israël – en y ajoutant pour la forme le génocide des Tutsi au Rwanda - serait donc le seul véritable génocide du XXème siècle, les autres – y compris celui des Arméniens - ne seraient que de grands massacres, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, tout ce qu’on voudra, mais moins graves que des vrais génocides.
Qu’est ce que ces deux génocides auraient en commun qui les rendraient plus grave que les autres? Que ceux qui les ont perpétrés avaient l’intention manifeste et explicite de tuer tous les membres des groupes humains visés, y compris les enfants, pour les éradiquer complètement. Donc la seule différence, c’est que les nazis étaient encore plus pervers que tous les autres génocidaires et criminels historiques répertoriés, si une telle échelle du mal a un sens.
Pour les victimes, qu’est ce que ça change ?
Les défenseurs d’Israël pensent en s'appuyant sur cette exceptionnalité du mal qu’ils peuvent contester l’usage du terme par n'importe-qui d'autre et justifier ainsi indirectement la poursuite indéfinie du massacre des Gazaoui. Israël aurait le droit d'en tuer beaucoup parce qu’il n’y aurait pas de sa part la volonté manifeste de les tuer tous. En attendant, il serait véritablement ignoble, scandaleux et antisémite de l’accuser de pratiquer un génocide !
Il serait en effet assez difficile pour Israël de venir à bout de tuer tous les Palestiniens, et tous les Arabes, et tous les musulmans, et tous les antisionistes, juifs compris, par dessus le marché. Son gouvernement et ses soutiens fanatisés se limiteront à l’intention non dissimulée de repousser les deux millions de Gazaoui dans le désert du Sinaï, avant de faire de même avec les trois millions de Palestiniens de Cisjordanie.
Cela dit cette manière de penser ridicule, stupide et odieuse serait peut-être plus cohérente si précisément un certain nombre de hauts responsables israéliens ne s’étaient pas laissés aller à une rhétorique explicitement génocidaire après le 7 octobre, ce qui a obligé la CPI a céder à la pression mondiale montante et à les mettre en accusation, au grand dam des défenseurs de l'impérialisme et de ses "règles", pour des faits de génocides publics et impossible à nier.
Il est peu probable que ces accusations, contrecarrées dans l'œuf par le gouvernement des États-Unis, soient suivies d'effet, au moins sur le plan judiciaire. Mais les médias, les politiciens, et les tribunaux occidentaux sont maintenant placés devant leurs responsabilités, aux yeux du monde.
GQ, 24 mai 2024, relu le 10 juillet
PS : il est bien question de la CPI (Cours pénale internationale ) et non de la CIJ (Cours internationale de Justice).