LE RAS LE BOL DES RURAUX !
Alors qu'une proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux a été partiellement adoptée début avril, cette dernière a suscité une vive réaction chez les médecins, qui y perçoivent une atteinte à leur liberté d'installation. Selon Vincent Lautard, infirmier et juriste en droit de la santé, le soutien de l'opinion publique à leur égard s'effrite : alors que le statut professionnel des médecins demeure l'un des mieux rémunérés de France, ils se montrent réticents à laisser d'autres professionnels de santé répondre aux besoins croissants des territoires délaissés, où ils refusent pourtant de s'installer.
Début avril les députés ont adopté partiellement, en première lecture, une proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux en permettant une régulation de l’installation des médecins sur le territoire. Cette loi n’est pas encore définitivement votée mais elle a entraîné une levée de boucliers importante de la part des étudiants en médecine et des syndicats de médecins libéraux, car cela toucherait à leur liberté d’installation. En pratique, si la loi passe, les médecins libéraux pourraient s’installer comme ils le souhaitent dans les zones sous-dotées en médecins mais devront demander une autorisation à l’Agence Régionale de Santé quand ils souhaitent s’installer dans une zone surdotée en médecins. Le principe étant que les médecins soient mieux répartis sur le territoire pour lutter contre les déserts médicaux.
Une opinion publique moins conciliante
Il est important de rappeler que ce n’est pas une proposition de loi qui imposera une coercition dans l’installation des médecins mais juste une régulation. Ce principe d’installation existe déjà par exemple pour les infirmiers, kinésithérapeutes ou encore pharmaciens. Les syndicats de médecins libéraux fortement opposés à cette loi, explique qu’elle sera inefficace et qu’elle dégoûtera à s’installer les futures générations de médecins. Certains étudiants en médecine sur les réseaux sociaux notamment sur TikTok, vont même jusqu’à déclarer, qu’ils iront pratiquer à l’étranger si cette loi passe. Les organisations d’internes ont aussi appelé à la grève. Les internes mettant en avant également leur faible rémunération et demandant une revalorisation, ce qui est une revendication plus que légitime.
Mais, fait rare, l’opposition des étudiants et médecins libéraux concernant la régulation d’installation, a reçu un accueil plus que mitigé de la part des Français, notamment sur les réseaux sociaux. De nombreux Français ne comprenant pas leur prise de position. Mais pourquoi l’opinion publique est de moins en moins conciliante avec les demandes des médecins libéraux ? il y a plusieurs explications à cela :
Tout d’abord, la problématique des déserts médicaux est un problème majeur qui dure depuis longtemps et qui s’aggrave dans certains départements. De nombreux Français sont touchés et n’ont plus d’accès à un médecin traitant ou à des spécialistes. Et toutes les mesures déployées par l’État ont été inefficaces. Sans oublier que ces déserts médicaux sont dus, en partie, au faible nombre de médecins formés à une époque, à cause du numerus clausus créé en 1971 (et qui a perduré jusqu’en 2020) à la demande de certaines organisations médicales pour limiter le nombre de médecins.
Une revalorisation du tarif de la consultation
De plus, les syndicats de médecins libéraux ont obtenu la revalorisation du tarif de la consultation des généralistes et spécialistes en 2017 puis en 2023 puis fin 2024 alors que la rémunération d’autres professions de santé et de nombreux Français stagne depuis des années. Cela correspond à une augmentation de 2625 euros/brut à 3500 euros/brut par mois en 10 ans pour un médecin généraliste, si on prend en compte le nombre de consultations que réalise un médecin généraliste par an qui est compris entre 4500 et 6000 consultations et le tarif de la consultation de base d’un médecin généraliste qui est passé de 23 euros à 30 euros entre 2015 et 2025.
Je ne critique pas cette augmentation car elle est méritée. Mais il faut la comparer au reste des français et aussi dire que cette augmentation existe grâce à la SECU. Sans oublier que la profession de médecin libéral, est l’une des professions les mieux rémunérées de France. Sur ces dernières années, les syndicats de médecins libéraux ont aussi obtenu pour lutter contre les déserts médicaux, le financement par la SECU d’emplois d’assistants médicaux (de super secrétaires) avec le versement d’une aide financière pouvant aller jusqu’à 36 000 euros par an. Ils ont aussi obtenu des primes et des aides financières conséquentes notamment s’ils s’installent dans un désert médical. Mais ces mesures n’ont pas prouvé leur efficacité.
D’un autre côté, les syndicats de médecins libéraux font tout pour bloquer ou ralentir l’évolution des compétences des paramédicaux qui pourrait permettre une meilleure prise en charge des malades notamment dans les déserts médicaux. D’un côté, ils refusent de s’installer dans des déserts médicaux, d’un autre côté, ils refusent que d’autres professions de santé puissent compenser en partie leur absence. Ce mécanisme ultra-corporatiste est de plus en plus décrié. À cela se rajoute, la communication de certaines organisations de médecins et de certains médecins sur les réseaux sociaux, qui ont eu des postures hautaines et méprisantes, envers d’autres professions de santé ou envers les Français. Ce qui n’arrange rien.
Je ne sais pas si la régulation d’installation sera un mécanisme efficace pour agir sur les déserts médicaux, cependant ce qui est sûr, c’est que les Français attendent des mesures concrètes et efficaces et tolèrent de moins en moins le jusqu’au-boutisme corporatiste de certaines organisations médicales.
Face à la colère légitime de la population qui ne trouve pas de médecin, en particulier les 11 % de Français de 17 ans ou plus sans médecin traitant, les parlementaires s’agitent et les organisations syndicales de médecins poussent des cris d’orfraie pour protester contre l’adoption d’une timide mesure de régulation de l’installation. En effet, regardons de plus près le vrai problème qui est celui de savoir si l’organisation du système de santé doit relever des principes d’une mission de service public dans le cadre de l’aménagement du territoire. La réponse à cette question doit être un oui franc. Dans ce cas, il est légitime de considérer que la situation actuelle est la conséquence du maintien d’un système de médecine libérale qui repose sur deux principes imposés par la corporation médicale lors de la mise en place des premières assurances sociales après la première guerre mondiale : la liberté d’installation et la rémunération à l’acte. Il est donc évident aujourd’hui que toucher à un de ces piliers sans toucher à l’autre n’aboutira qu’à un échec. En effet, une autre cause de la difficulté d’accès aux soins sont les dépassements d’honoraires consubstantiels du paiement à l’acte.
Donc la bonne question à débattre au parlement n’est pas de se contenter du ventre mou d’une loi transpartisane mais bien de se poser la question de l’extinction du mode d’exercice libéral. Question politique clivante qui ouvrira les perspectives de vraies solutions. Nous voyons en effet aujourd’hui émerger un nouveau mode d’exercice qui permet à la fois de réguler l’installation des médecins et de sortir du paiement à l’acte, c’est celui de l’exercice salarié dans des centres de santé. Il est ainsi possible que les pouvoirs publics en lien avec les élus locaux décident du lieu d’implantation de ces structures qui seront financées par la Sécurité sociale avec un budget adapté prenant en compte les réalités locales qui ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre. Le blocage aujourd’hui est financier.
En effet, sous la pression des lobbies du monde libéral, les financements de la Sécurité sociale privilégient très fortement la rémunération des acteurs libéraux au détriment des centres de santé. C’est la raison pour laquelle la Fédération nationale des centres de santé vient de dénoncer la convention qui la lie à la Sécu et qui détermine les modalités de financement des structures qu’elle représente. La solution politique est donc simple, il faut privilégier le financement des centres de santé pour leur permettre de proposer des salaires attractifs aux médecins et à leurs autres salariés, tout en leur assurant une stabilité financière globale. Il est ainsi possible de répondre à deux priorités de la population : avoir un médecin en proximité et la fin des dépassements d’honoraires. En ce qui concerne les médecins, ils verront rapidement, en particulier les plus jeunes, que leur qualité de vie au travail s’améliorera tout en leur assurant une rémunération et une protection sociale de qualité.
Docteur Christophe Prudhomme
Médecin urgentiste -Syndicaliste