DATI VEUT UNE TELE COMME BOLLORE !
La réforme portée par la ministre de la Culture Rachida Dati sera en débat à l’Assemblée nationale lundi 30 juin 2025. Les députés de gauche pourraient s’appuyer sur le manque d’enthousiasme des autres blocs pour faire rejeter ce « texte maudit ».
Après 3 tentatives depuis juin 2024, la réforme de l’audiovisuel public doit être examinée en séance publique ce lundi 30 juin et le mardi 1er juillet à l’Assemblée. But de la manœuvre, pilotée par la ministre de la Culture Rachida Dati : réunir dans une holding France Télévisions, Radio France et l’INA. Arte, TV5 Monde et France Médias Monde (RFI et France 24) en seraient pour le moment écartés.
Le texte initial, déposé au Sénat par le centriste Laurent Lafon en avril 2023, a eu un parcours chaotique depuis son arrivée au Palais Bourbon : transmis en juin 2023, discuté une première fois en commission des Affaires culturelles presque un an plus tard, son examen début avril 2025 a été repoussé suite à une altercation entre Rachida Dati et une fonctionnaire de l’Assemblée.
Repoussé, rediscuté en commission ces dernières semaines, le « texte maudit » doit aussi faire face à une forte mobilisation contre lui, dans un contexte budgétaire en constante diminution depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017.
Le retour de l’ORTF ?
Pour accueillir la ministre qui doit défendre le texte, socialistes, écologistes et insoumis ont déposé une motion de rejet préalable (MRP). Par tirage au sort, c’est le groupe Écologiste et social qui la présentera. L’ensemble de la gauche le suivra, mais « deux inconnues » subsistent sur l’attitude des deux autres blocs, estime le député de Seine-Saint-Denis (apparenté Écologistes) Alexis Corbière : « Que vont faire les députés amis de la ministre ? » Et « que va faire l’extrême droite, qui souvent vient en soutien au gouvernement, soit par son absence, soit par des votes positifs ? ».
Les soutiens de la majorité sont gênés aux entournures, selon Sophie Taillé-Polian, députée du Val-de-Marne (apparentée Écologistes), qui défendra la MRP. « Je pense qu’ils seraient bien contents si l’histoire s’arrêtait là. » Parmi les députés centristes du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, quelques-uns disent en off être « très interrogatifs sur la couverture de l’information de proximité » (et de leurs propres communications) si la fusion était totale entre les différents secteurs de l’audiovisuel public. Et puis « certains au centre considèrent que ce n’est pas un texte prioritaire », assure le député socialiste de Paris Emmanuel Grégoire.
La deuxième inconnue réside en « l’attitude du Rassemblement national », avance Sophie Taillé-Polian : « Leur position n’est pas claire. Ils veulent privatiser, oui, mais ce texte n’est ni une façon de privatiser ni d’avancer vers la privatisation. Au départ, ils le regardaient avec indifférence, et puis en commission, ils ont voté pour un article proposé par le gouvernement, contre un autre, et puis finalement ils ont quitté la commission… »
Une disposition en revanche pourrait recevoir les faveurs du RN et faire basculer leurs votes : le placement de la holding exécutive directement sous la main d’un seul directeur, et celui de toutes ses rédactions sous l’autorité d’un seul directeur de l’information. Sachant que le PDG de la holding serait nommé par l’Arcom, dont le président est lui-même nommé par le président de la République, le risque est de recréer une forme d’ORTF, en pire, avec une mainmise directe du pouvoir, y compris sur l’information, dans tous ces médias.
« Le problème c’est l’absence d’arguments assumés » par le gouvernement, estime-t-on à gauche. Voilà donc encore une occasion, disent ses élus, de « montrer l’incohérence du pouvoir ». « On ne sait pas trop bien ce qu’ils veulent, entre Rachida Dati d’un côté, François Bayrou de l’autre, et Patrick Mignola (ancien président du groupe Modem, ministre des Relations avec le Parlement – NDLR) au milieu. » Le gouvernement soutient timidement sa ministre de la Culture, qui pour valider ses « ambitions personnelles » à la mairie de Paris a « besoin d’un bilan », affirme Sophie Taillé-Polian.
Quitte à maquiller le vrai visage de la réforme. Son seul projet est « de faire des économies alors qu’il faudrait refonder l’audiovisuel public au service de l’ensemble de la population », assure dans un communiqué récent la commission médias du Parti communiste français.
Profonde démocratisation de l’édifice, indépendance et rétablissement de moyens pérennes et garantis par la loi, mise en place d’une contribution universelle et progressive… Autant de pistes que pointe la commission mais dont ni la ministre ni le rapport Bloch qu’elle a commandé à l’ancienne dirigeante de Radio France et remis aux députés ne disent mot.
Dans la rue aussi, ce projet sera contesté
Si la motion de rejet « sans procédure d’urgence » était adoptée, il n’y aurait pas de recours à une commission mixte paritaire, explique Alexis Corbière. Le texte doit alors repasser en commission et en séance au Sénat, puis en commission et en séance à l’Assemblée. « Ça nous fait gagner du temps. Mais il pourrait être ressuscité dans trois mois, dans six mois, dans un an… »
Néanmoins, « ça nous laisse une fenêtre pour faire rejeter le texte ou pour qu’il reste à l’Assemblée nationale », assure Sophie Taillé-Polian. Peu importe la forme que prendra la mobilisation dans l’Hémicycle, ce texte y sera combattu « pied à pied », assurent-ils.
Dans la rue aussi, ce projet sera contesté : manifestation à 14h à Paris
La plupart des organisations syndicales de France Télévisions, Radio France, l’INA et même France Médias Monde, qui n’était pas dans le périmètre initial de la loi mais dont le rapport Bloch préconise l’absorption dans la holding, ont déposé un préavis de grève. Les salariés se sont donné rendez-vous à Paris, place du Palais-Royal, à 14 heures pour une manifestation jusqu’à l’Assemblée nationale.
S’ils y arrivent avant que les travaux ne débutent en séance publique, plusieurs députés de gauche ont promis de les y rencontrer. « Leur mobilisation nous donne aussi de la force », souligne Sophie Taillé-Polian. Sur le terrain, les salariés de l’audiovisuel public constatent la stratégie d’économies à tout prix, les réorientations éditoriales erratiques déjà à l’œuvre et savent que cette loi aggravera la situation.
À France Télévisions, la direction assume en coulisses vouloir « faire sauter le cadre social » et aurait, le cas échéant, les mains libres pour le faire. Déjà, on fait taire les voix qui dérangent, à l’instar d’Anne-Sophie Lapix au 20 heures, jugée trop mordante en interview et remplacée par Léa Salamé ; on escamote des pans entiers de la réflexion journalistique en arrêtant, après le Magazine de la santé il y a deux ans, l’émission sur le climat Zone d’impact à la rentrée prochaine.
Quant à Radio France, après l’humour, c’est l’investigation et le reportage qui feront les frais du remaniement de la grille de rentrée : exit la version hebdomadaire de Secrets d’info, sur France Inter, qui remplacera de façon mensuelle Interception. D’une pierre deux coups. Ou comment montrer qu’on est bon petit soldat avant même que l’ordre n’arrive…
Grégory Marin Article publié dans l'Humanité