LOI DUPLOMB : LES INTOX DES DROITES ET RN !
La pétition contre la loi Duplomb a recueilli, lundi en début de soirée, 1,4 million de signatures.
© Bastien Ohier / Hans Lucas
Bien que rejeté par plus d’un million et demi de pétitionnaires, le texte visant « à lever les contraintes du métier d’agriculteur » est fermement défendu par le camp gouvernemental. Refusant d’organiser un nouveau vote, il s’accroche mordicus à des arguments largement contestables.
Depuis 2017, le camp présidentiel a su nous habituer aux coups de force démocratiques et aux atteintes à l’environnement. Avec la loi Duplomb, portée main dans la main par la plupart des membres du « socle commun » (issus de Renaissance, LR, Modem et Horizons) et l’agro-industrie, il pensait même pouvoir faire coup double.
Pourquoi douter puisque, en huit années, sans vraiment perdre de plumes, Emmanuel Macron s’est tour à tour et sans complexe assis sur les mouvements de protestation (des gilets jaunes à la réforme des retraites), les verdicts électoraux (l’arrivée en tête du NFP aux dernières législatives), et l’écologie (des lois de simplification démantelant le droit de l’environnement aux passages en force sur certains « grands projets ») ?
Sauf que, comme l’écrivait Racine, « le trop de confiance amène le danger ». Et, bien souvent, dans les cas d’abus de pouvoir et de déni de démocratie, « le danger » s’appelle « le peuple ». Depuis le 10 juillet, en plein cœur de l’été, un mouvement citoyen inattendu s’est levé : plus d’un million et demi de personnes ont signé la pétition pour dire « non ».
Tout en décrivant cette loi comme une « aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire » et une « attaque frontale contre la santé publique, la biodiversité, la cohérence des politiques climatiques, la sécurité alimentaire et le bon sens », son autrice, une étudiante de 23 ans qui désire rester dans l’ombre, demande « son abrogation immédiate, la révision démocratique des conditions dans lesquelles elle a été adoptée, et la consultation citoyenne des acteurs de la santé, de l’agriculture, de l’écologie et du droit ».
Des aspirations évidentes en démocratie qui font pourtant hurler les défenseurs du texte qui entendent à nouveau faire le pari du passage en force, armés d’arguments en soutien de l’agriculture productiviste. Puisque le débat autour de ce texte, empêché dans l’Hémicycle, revient à la une de l’actualité par la volonté populaire, l’Humanité propose quelques pistes de réponse.
« Les pesticides ne présentent aucun risque pour la santé »
Interdit en France depuis 2018, ce pesticide s’apprête à faire son retour par la grâce de la loi Duplomb : l’acétamipride. Pour les défenseurs du texte, qui prévoit sa réintroduction immédiate avec une clause de réexamen dans trois ans, ce pesticide n’est en rien toxique. Pourtant, plusieurs études disent le contraire, pointant sa nocivité sur les abeilles, les oiseaux, les poissons ou les vers de terre, qui seraient particulièrement attirés par les zones contaminées.
D’autre part, des travaux allemands montrent que l’épandage d’acétamipride sur une prairie, même à des concentrations faibles, conduit à l’effondrement de 92 % des populations d’insectes en seulement… deux jours. Pour les humains, la note est tout aussi salée. Selon plusieurs recherches menées récemment, ce pesticide engendrerait de terribles effets potentiels sur le système nerveux, la fertilité, le développement prénatal, et des suspicions existent quant à un lien avec l’apparition de troubles du métabolisme, comme le diabète de type 2.
Une étude chinoise publiée le 10 mai dernier s’est, pour sa part, penchée sur les échantillons de 144 adultes atteints de troubles neurologiques en les comparant à 30 personnes ne souffrant d’aucun trouble. Résultat : la principale molécule de l’acétamipride est celle qui est la plus présente dans les échantillons des personnes malades. D’autre part, pour ces derniers, les taux urinaires moyens d’acétamipride sont de six à sept fois plus élevés que pour les autres.
« Un texte essentiel pour sauver l’agriculture »
Pour Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, ce texte va « sauver bien des agriculteurs », tandis que, pour Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, il va leur permettre de « prendre toute leur place dans la transition écologique sans en être les victimes collatérales ».
Bref, la loi Duplomb va sauver l’agriculture française et la remettre sur pied. Comment ? En faisant des méga-bassines, retenues d’eau artificielles, des constructions « d’intérêt général majeur ». Qu’importe que celles-ci soient réservées à une poignée d’agriculteurs servant l’agro-industrie.
Mais aussi en relevant les seuils réglementaires pour qu’un élevage soit soumis aux autorisations environnementales. Ce qui aura pour conséquence de favoriser l’élevage intensif. Enfin, en réintroduisant l’acétamipride, pesticide réclamé en particulier par les producteurs de betteraves pour chasser les ravageurs. Tant pis pour la biodiversité et les consommateurs.
Un dernier point qui fera avant tout les affaires du patron de la FNSEA : en favorisant la productivité des betteraviers, même au détriment de l’environnement, c’est le secteur du biocarburant qui se trouvera être l’un des grands gagnants, le bioéthanol étant fabriqué à partir du sucre de la betterave. Dans ce secteur, le groupe Avril fait figure de géant, dirigé par Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. Syndicat du sénateur Laurent Duplomb, auteur du texte, lorsqu’il dirigeait la chambre d’agriculture de Haute-Loire.
« Une loi pour faire face à la concurrence déloyale avec les autres pays européens »
C’est un argument phare des promoteurs de la loi : le pesticide acétamipride reste autorisé dans les autres pays de l’Union européenne, ce qui entraîne une « concurrence déloyale », selon Laurent Duplomb. Arnaud Rousseau va plus loin : l’agriculture française « disparaîtra » si on lui impose « des normes supérieures » à celles des autres pays. Au contraire, selon CCFD-Terre solidaire, le texte « ne soutient pas la souveraineté alimentaire, il renforce un modèle à bout de souffle, tourné vers l’exportation et les logiques industrielles. »
Qui profite, donc, aux agro-industriels – dont le patron du syndicat majoritaire. Dans l’Hémicycle, il y avait pourtant des propositions : « Nous avons demandé que n’entrent plus en France des substances qui sont interdites », relate Marine Tondelier au micro de RMC, le 21 juillet. La secrétaire nationale des Écologistes rappelle que la France avait choisi d’interdire l’acétamipride en 2018. L’ancien ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, avait entamé une démarche en ce sens auprès de l’Union européenne. Une interdiction pourrait intervenir d’ici à la fin de l’année.
« On n’est pas obligés de choisir entre les agriculteurs et la santé, ajoutait l’écologiste. Pourquoi on ne met pas le paquet sur la recherche d’alternatives ? » Un autre coup aux défenseurs du texte, qui arguent que les Français continueront à consommer cette substance via les aliments importés. En somme, parce que l’Union européenne s’empoisonne, il faudrait que la France y participe activement.
« Trop de contraintes et de contrôles pèsent sur les agriculteurs »
Régulièrement attaqués au motif de contraintes trop importantes, les garde-fous du secteur agricole subissent une nouvelle salve. À tel point que la loi Duplomb « s’attaque à l’indépendance des structures étatiques de contrôle sur les pratiques agro-industrielles intensives », selon la commission écologie du PCF. La loi Duplomb instaure également un obscur « comité des solutions » réunissant les filières agricoles et des représentants du gouvernement.
Un risque de pression sur l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui évalue les risques sanitaires et délivre – ou retire – les autorisations de mise sur le marché des pesticides. D’autant qu’un tout nouveau décret prévoit que ses décisions seront contraintes par un calendrier fixé par le ministère de l’Agriculture. Manière de signifier que les intérêts de l’agro-industrie passent avant la santé. Et l’Office français de la biodiversité (OFB) est à nouveau dans le viseur, après un rapport à charge de la Chambre haute en 2024, et des menaces et dégradations.
Il passe de la cotutelle des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique à celle du procureur de la République et du préfet. Ce dernier devra inciter la police de l’environnement – la seule dont on lime les griffes en France – à privilégier « la procédure administrative, pour éviter autant que faire se peut des procédures judiciaires ». Et aura pouvoir d’approuver la programmation des contrôles. Sur les quelque 20 000 contrôles annuels de l’OFB, pourtant, seuls 3 644 – soit 19 % – portent sur des agriculteurs.
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