Le changement climatique intensifie les « bombes météorologiques »...

La tempête Benjamin a secoué la France ce jeudi 23 octobre 2025. Si les médias ont évoqué une "bombe", l'intensité de cette tempête est restée très classique dans la plupart des régions. Cela n'a pas empêché des dégâts comme le montrent les photos ci-dessus.
La tempête Benjamin aurait pu se transformer en « bombe météorologique ». Rôle du chaos climatique, difficulté à anticiper ces phénomènes... Un climatologue vous explique en 3 points.
Une violente tempête, baptisée Benjamin, a traversé une partie de la France dans la soirée du 22 octobre et le 23 octobre où elle fut violente. Dix-neuf départements ont été placés en vigilance orange et des rafales de vent ont atteint localement 120 km/h. Plusieurs départements ont été placés en vigilance « vague-submersion », tandis que d’intenses précipitations pendant plusieurs jours font craindre la survenue d’inondations.
L’intensité de cette tempête est exceptionnelle pour cette période de l’année et plusieurs météorologues estiment que ce phénomène pourrait se transformer en « bombe météorologique ». À l’instar de la tempête Ciarán, qui a causé des dégâts mortels en France il y a deux ans, ces événements « explosifs » ont tendance à s’intensifier avec le changement climatique. Trois points pour comprendre le phénomène.
1 — Qu’est-ce qu’une « bombe météorologique » ?
Le terme désigne les dépressions atmosphériques (caractéristiques des tempêtes) dont la pression chute de manière particulièrement abrupte. Soit une perte d’au moins 24 hectopascals en vingt-quatre heures. Cette chute de pression a pour conséquence de faire tourner l’air très rapidement autour de ce « creux », c’est-à-dire de générer des vents violents.
« C’est un peu comme quand vous faites tourner votre doigt rapidement dans une baignoire. On voit l’eau s’incliner au centre, comme une basse pression, et de l’eau tourner autour, comme les vents violents. C’est le mécanisme des tempêtes », dit Davide Faranda, climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) de l’Institut Pierre-Simon Laplace.
Qu’est-ce qui génère cette chute soudaine de pression ? Une bombe météorologique ne surgit pas spontanément : elle nécessite l’existence d’une « tempête mère », c’est-à-dire d’une pression déjà basse. Celle-ci va ensuite s’intensifier au contact de deux phénomènes qui vont lui fournir de l’énergie et provoquer des mouvements d’air brutaux. Premièrement : l’arrivée dans une zone chaude et humide en surface, qui va faire monter l’air et baisser la pression. Deuxièmement : la présence en haute altitude de « cisaillements », des vents de force et de directions différentes, qui alimentent la tempête en énergie cinétique.
2 — Comment le changement climatique intensifie-t-il ces tempêtes ?
Le réchauffement de la planète apporte encore de l’énergie supplémentaire à ces phénomènes. Conséquence : l’ensemble de l’Europe pourrait être confrontée à des tempêtes plus intenses à l’avenir sous l’effet du changement climatique, d’après le dernier rapport du Giec, mais ces projections sont entourées de fortes incertitudes.
Il faut en réalité différencier deux types de conséquences : sur les précipitations et sur le vent. Concernant les précipitations, l’intensification à venir est claire et simple à comprendre. Mécaniquement, chaque degré de température supplémentaire dans l’air lui permet de contenir 7 % d’humidité de plus. Cette loi de la thermodynamique implique une hausse à venir de l’intensité des pluies.
Le projet européen Climameter, qui mène des études d’attribution permettant d’estimer le rôle du changement climatique dans les extrêmes météorologiques, évalue lors des récentes tempêtes européennes à 10 à 20 % l’intensification des pluies de ces tempêtes causées par le changement climatique.
Pour le vent, c’est plus compliqué. Dans les données des 40 dernières années de Météo-France, aucun signal n’indique une intensification des vents et des tempêtes en France. Et aucun consensus scientifique n’existe sur une éventuelle intensification à venir des vents causés par le réchauffement car certains phénomènes qui lui sont liés ont des effets antagonistes sur l’intensité des tempêtes.
Pour autant, sur les tempêtes analysées par Climameter ces dernières années, « les signaux sont plus modestes, mais on observe une légère intensification sur les zones côtières exposées, avec des augmentations estimées entre 5 et 10 %, note Davide Faranda, qui a développé ce projet européen. Ce n’est pas encore un consensus mais les études récentes vont dans le sens d’une intensification à venir des vents des tempêtes. »
3 — Pourquoi est-il difficile de prévoir ces phénomènes ?
La science climatique avance — lorsqu’elle n’est pas détruite, comme aux États-Unis ou sous-financée en France et ailleurs — et apporte de plus en plus de certitudes sur l’intensification plausible de ces tempêtes. Mais certains éléments restent imprévisibles.
Les phénomènes météorologiques comportent une part d’évolution chaotique qui échappe aux modélisations. De petites variations, par exemple dans la température de l’eau ou dans l’évolution de la végétation, peuvent passer entre les mailles des modèles climatiques dont la résolution est forcément limitée, même si elle tend à s’affiner.
« Et ce n’est pas qu’une question de résolution : il y a une dimension chaotique, d’autant plus importante que les phénomènes sont extrêmes, qui constitue une limite physique à la prévisibilité, même en ayant les meilleurs modèles du monde », dit Davide Faranda.
Les tempêtes étant étendues dans l’espace, leur structure est d’autant plus complexe et difficile à modéliser et à anticiper. Cela rend chaque tempête unique. « C’est un peu comme des patients qui, face à la même maladie, auront tous une réaction et des symptômes un peu différents. C’est en partie imprévisible », explique le climatologue.
Cela explique la difficulté d’établir des prévisions météo très précises, à l’échelle de quelques jours, pour anticiper ces tempêtes explosives. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que la « maladie » que l’on nomme changement climatique s’aggrave dangereusement, et que les symptômes seront de plus en plus catastrophiques, au-delà des incertitudes qui les entourent.
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