Mardi, 27 Mars, 2018 L'Humanité
Il existe plusieurs façons de pratiquer la censure.
La plus pernicieuse consiste à décourager les auteurs eux-mêmes de publier une information dérangeante pour le pouvoir, politique ou économique. La fulgurante concentration des médias, aspirés par une poignée de milliardaires, avait déjà commencé le boulot.
La loi sur le secret des affaires, si elle était votée, affaiblirait encore la liberté d’informer. Celle qui ne tremble pas des retours de bâtons politiques ou financiers. Or, si le texte examiné aujourd’hui à l’Assemblée nationale représente une arme de dissuasion massive pour les journalistes, syndicalistes et lanceurs d’alerte, c’est bien parce qu’il va les attaquer au portefeuille.
Le cas du magazine Challenges, le 6 février dernier, a déjà offert une terrible illustration des dangers de ce texte. Le tribunal de commerce de Paris avait en effet condamné l’hebdomadaire pour avoir publié une information du groupe Conforama, avec une « astreinte de 10 000 euros par infraction constatée ». Qui acceptera encore de prendre des risques face à une telle menace financière ?
« Prière de ne pas déranger ».
Voilà l’écriteau que les multinationales comptent sceller aux portes des entreprises, pour empêcher que la société ne vienne mettre son nez dans leurs affaires et leurs juteux profits. Qu’en serait-il des Panama Papers, ou du scandale sanitaire du Mediator si une telle loi avait été en vigueur ?
Contrairement à ce que prétendent les défenseurs du texte, élaboré par les lobbies des multinationales, il s’agit moins de protéger les entreprises de l’espionnage industriel que de réduire au silence les résistances citoyennes. D’autant que le vol de documents et la propriété intellectuelle sont déjà encadrés par la loi. C’est ce qui explique sans doute la discrétion sur le sujet de la majorité, qui a courageusement choisi une procédure accélérée pour transposer en catimini cette directive européenne.
Mais il n’est pas trop tard pour faire infléchir la majorité. La France dispose de marges de manœuvre importantes pour la transposition de cette directive, qui pourraient préserver les libertés fondamentales. Un nouveau bras de fer commence.