18 Juillet 2018
Après l’échec d’un accord en commission mixte paritaire, la loi agriculture et alimentation est examinée à partir d’aujourd’hui en deuxième lecture par la commission des Affaires économiques à l’Assemblée nationale. Les syndicats agricoles affichent leur déception.
Qui sont les mutins de la navette parlementaire ? Alors que la loi issue des états généraux de l’agriculture et de l’alimentation était passée au crible par les 14 sénateurs et députés de la commission mixte paritaire (CMP) du 10 juillet, ces derniers avaient échoué à trouver un accord. En cause, selon la commission des Affaires économiques qui publiait un communiqué rageur, le 10 juillet, sur le site du Sénat, des articles modifiés alors qu’ils avaient été votés dans les mêmes termes par les deux assemblées. Une « atteinte grave au fonctionnement de la navette parlementaire » qui serait imputable, selon des sénateurs LR et centristes de la commission, à Jean-Baptiste Moreau, rapporteur du projet de loi et député LaREM de la Creuse. « L’esprit d’une CMP est de chercher à régler des points de désaccord, non d’en ajouter de nouveaux », taclent-ils à l’attention du député, accusé d’agir sur injonction du gouvernement. De son côté, le rapporteur avait bien vite fait les gros yeux aux sénateurs en les accusant, dès l’annonce de l’échec de la CMP, d’avoir franchi un certain nombre de fois la « ligne rouge », à l’image de la « déresponsabilisation des interprofessions » dans la mise en place des indicateurs de prix, de la suppression de l’activité vente et conseil pour les produits phytosanitaires..
Un galimatias qui fait reculer l’adoption de la loi, au point que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) craint que les négociations commerciales de l’automne ne se déroulent sans que celle-ci ne soit entrée en vigueur. Et ce, malgré la promesse de Jean-Baptiste Moreau que le texte soit « actif pour le mois d’octobre », après son retour en séance publique le 4 septembre. Si l’objectif de la CMP était d’accélérer l’adoption du texte, celui-ci a visiblement achoppé, faisant regretter à Sophie Primas, sénatrice LR et présidente de la commission des Affaires économiques, les débats de la mandature précédente : « J’ai l’impression qu’on trouvait plus de positions communes quand on était dans une logique gauche-droite, c’était moins méprisant. » Comme elle, la Fédération nationale bovine, liée à la FNSEA, dénonce également le choix des députés LaREM « de faire primer leur dépendance au gouvernement sur l’intérêt réel des agriculteurs et des citoyens français ».
Les organisations syndicales agricoles dans leur ensemble font d’ailleurs état de leur déception, avec chacune leurs nuances. Ainsi, la FNSEA se range du côté des sénateurs, estimant que « la manœuvre politique l’a finalement emporté sur le réalisme d’un texte respectueux de l’esprit des états généraux de l’alimentation » (EGalim) et incriminant les députés de la CMP qui ont « délibérément ignoré » le rapport de forces déséquilibré entre les centrales d’achat et les agriculteurs. Pour la Coordination rurale, « peu importe que la CMP n’ait pas réussi à se mettre d’accord sur le projet de loi post-EGalim ». Le syndicat, qui dénonce une loi « qui se contente de suggestions et ne prévoit aucun moyen pour s’assurer du respect des dispositions prévues », estime cependant que le Sénat avait avancé des points intéressants « notamment pour lutter contre la concurrence déloyale en contrôlant les importations de produits agricoles et alimentaires », tout en pointant la responsabilité de la PAC. Du côté de la Confédération paysanne, une lettre ouverte avait été envoyée aux parlementaires quelques jours avant la CMP, déplorant le faible impact du volet économique du texte, qui ne concerne que les secteurs à contractualisation obligatoire (lait de vache, légumes frais, etc.). Las, le syndicat a ensuite twitté : « Après l’échec de la CMP, les députés doivent remettre la question du revenu paysan au cœur de ce projet de loi ! Sauront-ils s’imposer face au gouvernement ? »
Enfin, pour la Confédération syndicale agricole des exploitants familiaux (Modef), la loi « ne permettra pas aux exploitants de mettre un terme aux différentes crises et de vivre dignement de leur travail ». Mettant en avant une kyrielle de propositions, le syndicat souhaite la mise en place d’une conférence nationale sur les prix afin de « sortir l’agriculture et les paysans de la crise, et de revenir aux prix rémunérateurs ».
Comme nous l’avons montré hier, les parlementaires de La République en Marche (LaREM) ont différé le vote de la « Egalim » promise l’an dernier par Emmanuel Macron. Probablement sur injonction du gouvernement et du chef de l’Etat, ils ont pris cette décision afin de permettre aux distributeurs de mettre la pression sur leurs fournisseurs cet automne pour d’obtenir des baisses de prix. Voilà une mauvaise nouvelle pour les paysans alors que l’on annonce, en même temps, une baisse des rendements céréaliers au vu des premiers résultats des moissons en cours. Parallèlement, le prix de l’énergie a augmenté de 12% sur douze mois et celui des produits pétroliers de 21%.
On sait que les prix agricoles ont été particulièrement bas en 2015 et 2016 pour les céréales, le lait de vache, la viande bovine, voire la viande porcine qui a connu de fortes fluctuations. Publiés le 5 juillet dernier par l’INSEE, les comptes provisoires de l’agriculture pour 2017 disent que la valeur de la production agricole a augmenté de 3,2% l’an dernier, sans toutefois retrouver son niveau de 2015, année de bons rendements dans plusieurs productions.
Dans le secteur des céréales, les volumes récoltés en 2017 ont été supérieurs de 6,3% à ceux de 2016 mais les prix ont baissé de 4,1% en moyenne. En élevage, toutes activités confondues, la valeur totale de la production a progressé de 5,7% en 2017, suite à une hausse moyenne des prix de 6,8%. Cette hausse a été de 6,6% pour la viande de porc et de 11,3% pour le lait de vache. Mais on sait que le prix du lait a baissé de 25% en moyenne en 2015 et 2016 par rapport à 2014, en raison de l’augmentation de la production européenne avec la sortie des quotas laitiers par pays en avril 2015. Du côté des coûts de production, les charges ont baissé de 1,8% dans les exploitations françaises en 2017 du fait de la baisse du prix des engrais.
LE PRIX DU LAIT BAISSE À NOUVEAU EN 2018
Mais il apparaît déjà que cette fragile amélioration constatée en 2017 après deux années de prix agricoles déprimés n’est pas acquise pour l’année 2018. Le prix des engrais azotés, utilisés notamment pour produire des fourrages et des céréales, est en forte hausse depuis des semaines, soit plus 9 à 13% selon les formules. Parallèlement, dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, le prix du lait a reculé de 1,7% en mai dernier et de 3% sur un an pour s’établir à 320,70€ pour 1.000 litres en moyenne européenne, loin de 370 € de prix moyen en France en 2014. Enfin, alors que la chaleur et le temps sec sévissent en France depuis plusieurs semaines, l’herbe ne pousse plus dans les prairies, ce qui va se traduire par une baisse du rendement par vache et par une augmentation sensible du prix de revient de chaque litre de lait dans les fermes. Comme la production européenne de lait a augmenté durant la première moitié de 2018 par rapport à la même période de 2017 alors qu’il reste encore un stock de 278.000 tonnes de poudre, suite à la surproduction de 2015 et 2016, le prix du lait au départ de la ferme ne remonte pas.
Depuis deux à trois semaines, le prix du blé est en hausse. A 184,50€ la tonne rendu au port de Rouen pour l’exportation, il a grimpé de 8,50€ en une semaine. Mais c’est parce que les rendements sont en baisse par rapport aux prévisions dans le cadre de la moisson en cours en France comme dans les autres pays européens. On s’attend à une baisse de 3% de la récolte de blé tendre en Europe avec un volume total de 139 millions de tonnes contre 143 millions l’an dernier. Il reste à savoir les la hausse des prix compensera la baisse des rendements dans le bilan des producteurs. Le maïs ne sera récolté qu’à l’automne et, pour le moment, son prix n’est que de 152€ la tonne contre 170€ l’an dernier à la même époque. La tonne de colza ne cote que 356€ actuellement et son prix a été régulièrement plus bas que cela entre novembre 2017 et avril 2018. Il était supérieur à 400€ entre novembre 2016 et février 2017.
Parce qu’elle doit à la fois nourrir les humains et les animaux qui nous fournissent une bonne partie de notre alimentation, l’agriculture reste dépendante des aléas climatiques. La soumettre en permanence à la spéculation haussière et plus souvent baissière comme ces dernières années sur ses principaux produits met en danger permanent la santé financière des exploitants agricoles et la sécurité alimentaire des consommateurs. De Paris à Bruxelles, ces enjeux que sont la sécurité et la souveraineté alimentaire ne sont pas pris en compte depuis des décennies par les décideurs politiques.