26 Octobre 2022
Mardi [18 octobre 2022], les enseignants de lycée professionnel étaient en grève. La raison ? Un projet de réforme qui vise à réduire les apprentissages, généraux comme professionnels, et à calquer les diplômes sur les besoins des entreprises locales.
De 22 à 33, c’est, pour les jeunes en lycée professionnel, le nombre de semaines qu’ils devront passer en entreprise si le projet porté par Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels abouti. Des semaines de stages qui seront obligatoires pour valider l’obtention du baccalauréat.
Or, comme l’explique Germain Filoche, professeur de lycée pro en région parisienne, accueillir ces jeunes « n’est pas évident pour beaucoup d’entreprises », notamment les PME. Et, par voie de conséquence, décrocher un stage en entreprise n’est pas facile pour le jeune sans réseau. Aussi, l’idée de faire passer les semaines de stages obligatoires de 22 à 33 peut sembler une bonne idée. Sauf que non ! Elle s’inscrit dans le prolongement des réformes de Jean-Michel Blanquer qui avait déjà accéléré la réduction du nombre d’heures d’enseignement, passé, en trois décennies, de 3 890 à 2 520 sur l’ensemble des trois années.
« On bousille mon métier »
Car qui dit lycée pro ne dit pas, ou pas seulement, cours d’hôtellerie ou de mécanique. Germain Filoche, par exemple, enseigne le français et le théâtre. Pour lui, ces établissements qui accueillent un jeune sur trois, sont avant tout « des lieux de remobilisation ». L’année de terminale est celle où les efforts des deux années précédentes sont récompensés, où les élèves participent le plus, posent le plus de questions.
Or, si la réforme est adoptée, les heures de cours généraux seront tellement réduites que le professeur Filoche ne pourra plus mettre en œuvre ses projets pédagogiques, comme, par exemple, emmener ses élèves visiter le camp d’Auschwitz. Pour lui, les changements prévus par la ministre isolent les cours les uns des autres, plutôt que de les concevoir comme un ensemble cohérent. Lui qui avait l’habitude de terminer chaque séance de cours par une tâche créative – rédiger une affiche, créer une émission de radio – sait qu’il ne pourra plus le faire. Il s’interroge désormais sur la poursuite de son métier à brève échéance.
L’autre aspect du projet gouvernemental est de calquer les formations sur les besoins de l’économie locale. Une logique qui peut sembler de bon sens. Mais, dans le souci de toujours mettre l’État au service des entreprises, le gouvernement va miner l’acquisition de compétences générales par ces futurs ouvriers et employés. Un savoir pourtant indispensable à leur carrière future.
La « mobilité » de « l’entreprise agile » chère aux macronistes n’a plus court dès que l’on parle bac pro. Au contraire, ces lycéens, majoritairement issus des classes populaires et/ou de l’immigration, sont comme assignés à un pseudo-bassin d’emploi local dont personne ne peut connaître la pérennité. D’ailleurs, les premiers concernés – les jeunes – ne sont pas dupes. Comme ils le disaient à nos confrères du Parisien : « On ne va pas travailler forcément pour la même entreprise toute notre vie, on ne peut pas avoir des cours aussi orientés. »
Ainsi, au prétexte de former des travailleurs « immédiatement opérationnels », Carole Grandjean va surtout former des centaines de milliers de futurs chômeurs, et ce d’autant plus que le basculement numérique des entreprises nécessite des capacités d’abstraction de plus en plus importantes.
L’attaque du gouvernement contre cette filière est impressionnante. À Paris, dix lycées professionnels sont menacés de fermeture, au prétexte habituel de la baisse des effectifs. Où iront les enfants ? Mystère. « Nous l’avons appris ce matin par des professeurs en larmes, se désole la mère d’une lycéenne. On ne comprend pas bien. Le lycée Brassens est exceptionnel en termes de projet pédagogique et de mixité sociale. Où iront nos enfants ? »
Certes, on ne peut pas accuser le gouvernement de vouloir faire des économies. Car, comme l’explique Germain Filoche, le gouvernement a le projet de rémunérer enfin les stages – on parle de 200 euros pour les mineurs, et de 500 euros pour les majeurs, sur l’ensemble de l’année. Une bonne nouvelle pour les jeunes, moins pour les fonds publics qui financeront ces stages. Mais, vous ne voudriez tout de même pas demander aux entreprises de payer eux-mêmes leurs travailleurs, non ? D’ailleurs, pendant que le gouvernement ferme des lycées pros, il ouvre à tour de bras des CFA, les centres de formation d’apprentis, des structures privées, très coûteuses, surtout depuis que le gouvernement donne plusieurs milliers d’euros à toute entreprise qui embauche un ou une apprentie, même diplômé d’HEC ou de Polytechnique.
À croire que ce gouvernement ne sait faire qu’une chose : casser le service public tout en faisant d’innombrables cadeaux aux entreprises. Et tant pis si les filles et fils d’ouvriers auront, à l’avenir, encore moins l’occasion de faire du théâtre, de découvrir un auteur, de réfléchir avec leurs professeurs. Qui a dit que les entreprises avaient besoin de citoyens éclairés ? ●