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RETRAITES : ANALYSE DU PROJET E BORNE :

Élisabeth Borne a annoncé mardi 10 janvier le contenu de la réforme des retraites. Retrouvez ici les détails des principaux arbitrages du gouvernement et des contours de cette attaque qu’il va falloir faire reculer dans la rue.

Report de l’âge de départ à partir de 64 ans, après 43 années de cotisation

Elisabeth Borne a dévoilé ce mardi le contenu de la réforme des retraites, projet phare du quinquennat Macron. Comme prévu, il s’agit d’une attaque d’ampleur contre l’ensemble du monde du travail : l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 ans à 64 ans. L’exécutif veut appliquer cette réforme rapidement, en reculant l’âge de départ de 3 mois par an.

Ainsi, la première génération concernée, celle née en 1961 qui s’apprête à partir à la retraite en 2023, devra finalement partir à 62 ans et 3 mois à partir du 1er septembre, celle née en 1968 devra partir à 64 ans, la réforme finissant de s’appliquer en 2030. L’âge minimal de départ à la retraite est ainsi repoussé de 3 mois dès cette année, de 6 mois dans un an, et tous ceux nés à partir de 1968 devront travailler à minima 2 ans de plus.

Dans le même temps, la durée de cotisation est allongée ; alors que la loi Touraine prévoit d’augmenter progressivement la durée de cotisation jusqu’à 43 ans pour la génération née en 1973, cette disposition va s’appliquer plus tôt : les salariés nés dès 1965 devront travailler pendant 43 ans pour faire valoir leurs droits complets à la retraite. En dessous de la durée de cotisation requise pour leur génération, les travailleurs subiront la précarisation d’une pension de retraite grevée par la décote, proportionnellement au nombre de trimestres qu’ils n’auront pu accomplir.

Avec cette réforme le gouvernement s’attaque de front à l’ensemble des travailleurs, et vise en premier lieu les plus précaires de notre classe. En effet à 64 ans, 29% des travailleurs les plus pauvres sont déjà mortsDans le même sens, usés par une vie de travail, la plupart des ouvriers savent qu’ils ne peuvent pas continuer à exercer leur métier jusqu’à cet âge. Vincent Duse, ouvrier retraité de PSA résumait ainsi : « après 60 ans, travailler à la chaîne c’est une tentative d’assassinat. ».

 

L’arnaque de la prise en charge des carrières longues

Face à ce constat qui saute aux yeux, le gouvernement se rend bien compte qu’il sera difficile de faire accepter le report de l’âge de la retraite. Selon un sondage publié ce mardi, 80% des Français y sont même opposés. Pour camoufler cette attaque et chercher à faire oublier le passage à 64 ans, Elisabeth Borne a donc passé le plus clair de son discours à détailler ses fausses promesses, visant à dissiper les effets de sa réforme. Elle a notamment promis une meilleure prise en charge des carrières longues, en déclarant que ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 20 ne seront pas concernés par la retraite à 64 ans.

En réalité, cette réforme implique un allongement brutal des carrières longues, dès la fin de l’année 2023 des personnes qui ont déjà prévu de prendre leur retraite devront travailler plusieurs mois de plus ! Actuellement le dispositif des carrières longues (4 ou 5 trimestres validés avant l’année des 20 ans) permet de partir deux ans avant l’âge légal, donc à 60 ans. Ce principe sera maintenu, mais avec le recul de l’âge légal à 64 ans, les retraites « carrières longues » ne pourront donc être prises qu’à 62 ans : un travailleur qui a commencé à 18 ans devra donc cotiser 44 ans !

Le gouvernement ouvre toutefois la possibilité de partir à 60 ans, à condition d’avoir commencé à travailler avant 18 ans et de cotiser, là encore, 44 ans !

Alors qu’en 2021 près de 19,5 % des nouveaux retraités sont concernés par le dispositif carrière longues, le gouvernement va tout simplement imposer à un grand nombre de salariés de travailler encore plus longtemps : voilà comment le gouvernement veut « prendre en charge » les carrières longues.

Pénibilité : enfumage à l’horizon

Autre mensonge agité pour faire avaler la réforme, la pénibilité serait mieux prise en compte dans les années à venir. Beaucoup espéraient que les critères de pénibilité supprimés par Macron en 2017 (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques) seraient réintégrés au Compte professionnel de prévention, qui permet de cumuler des points selon la pénibilité et partir jusqu’à deux ans plus tôt à la retraite. Finalement, sous la pression du Medef, ces critères ne sont pas réintégrés, et les deux seules choses que propose le gouvernement sont un « fond pour la prévention », destiné à « des actions de sensibilisation, prévention et reconversion », ainsi qu’une visite médicale obligatoire à 61 ans pour permettre aux inaptes de partir en retraite anticipée.

Il faudra donc être suffisamment cassé par les postes pénibles pour partir à la retraite : adieu l’espoir d’une retraite en bonne santé. Surtout, l’ensemble des huit critères du compte professionnel de prévention (dont six sont déjà en vigueur : travail en milieu hyperbare, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, températures extrêmes, bruit) sont extrêmement restrictifs. Par exemple, comme l’explique Libération, pour bénéficier du critère de geste répétitif, « il faut réaliser au moins 15 actions identiques dans un cycle de 30 secondes, ou au moins 30 actions identiques en une minute, 900 heures par an (un temps plein aux 35 heures étant de 1 607 heures). Autrement dit, il faut, au moins deux jours et demi par semaine, répéter le même geste toutes les deux secondes ».

De la même manière, lorsqu’il était en vigueur, le critère de posture pénible que Borne promet de rétablir était impossible à atteindre, comme nous l’expliquait Joël, technicien avion retraité à Air France Industries et syndicaliste à Sud Aérien : « les critères pour être compté dans les postures pénibles étaient tels qu’il fallait être penché ou accroupi toute la journée sans arrêt. Sur le terrain, on a vite compris que c’était inatteignable ». Les deux seuls seuils que le gouvernement compte baisser sont le nombre de nuits travaillées (de 120 à 100 nuits par an) et le nombre de jours en équipes alternantes (de 50 à 30 nuits par an).

Un minimum retraite qui ne concernera que les travailleurs ayant cotisé tous leurs trimestres

Autre mesure présentée pour donner un vernis social à la réforme : la revalorisation des petites retraites. Elisabeth Borne a ainsi déclaré : « les salariés et les indépendants, […] partiront désormais avec une pension de 85 % du SMIC net, soit une augmentation de 100 € par mois. C’est près de 1200 € par mois dès cette année ».

Une augmentation à peine au niveau de l’inflation et qui dépasse de peu le seuil de pauvreté, fixé à 1128 euros. Surtout, cette pension minimale ne concernera même pas l’ensemble des retraités, puisque pour en bénéficier il faudra avoir cotisé le nombre de trimestres nécessaires, ou avoir trimé jusqu’à 67 ans, ce qui exclut les travailleurs ayant connu de fortes périodes de chômage et de précarité, avec des carrières hachées. Or ce sont justement ces travailleurs qui vivent de petites retraites, en dessous de 1200 euros !

En effet, en 2016 d’après les données de la direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), relayées par l’économiste Michael Zemmour, parmi les personnes recevant une pension de retraite inférieure à 1200 euros, un tiers seulement avait une carrière complète. Dès lors, plus de 60% des retraités les plus pauvres ne recevront pas la pension minimale fixée à 1200 euros. Aucune mesure n’est prévue pour ces petites retraites, qui vivent aujourd’hui avec l’Allocation de Solidarité aux personnes âgées (ASPA), fixée à 916€ pour une personne seule, et 1400€ pour un couple. Pour les 635 000 personnes concernées par l’ASPA, rien n’est donc proposé et ils resteront sous le seuil de pauvreté.

Suppression des régimes spéciaux pour les entrants, mais deux années supplémentaires au boulot pour toutes et tous

Comme annoncé depuis plusieurs semaines, le gouvernement a par ailleurs décidé de supprimer l’essentiel régimes spéciaux de retraites pour les nouveaux embauchés du secteur [1]. Dans le détail ce sont les futurs travailleurs de « la RATP, la branche industries électriques et gazières (EDF, etc.), la Banque de France, les clercs de notaires et les membres du CESE » qui seront concernés. Le choix d’appliquer une clause du grand-père épargnant les salariés en poste vise évidemment à éviter une trop grande contestation dans ces entreprises.

Cependant, le gouvernement s’est bien gardé d’insister sur le fait que les travailleurs en poste qui conservent leurs régimes spéciaux devront également travailler deux années supplémentaires. Comme le notent Les Echos : « les salariés actuels des entreprises concernées ne restent pas pour autant à l’écart de la réforme. Ces derniers n’échapperont pas au décalage progressif de deux ans de l’âge légal de départ en retraite et à l’accélération de la réforme Touraine de 2014, qui sont les axes structurants de la refonte voulue par Emmanuel Macron pour le régime général. »

Dans le même temps, le gouvernement a choisi d’épargner une partie des régimes spéciaux. Ainsi, « les régimes autonomes (professions libérales et avocats) et ceux répondant à des sujétions spécifiques (marins, Opéra de Paris, Comédie Française) ne seront pas concernés par cette fermeture. » Ces derniers avaient notamment pris une part importante à la mobilisation aux côtés du mouvement ouvrier en 2019. Ils devront cependant également travailler deux années supplémentaires.

Finalement, les « catégories actives » de la fonction publique conserveront leurs aménagements, avec là encore un décalage de deux années de travail supplémentaire. Pour rappel ces « catégories actives » rassemblent les aides-soignants, les égoutiers, les éboueurs, mais aussi et surtout les surveillants pénitenciers, la police et l’armée. Il est évident que c’est d’abord ces trois derniers corps de métiers, clés pour la domination de la France dans le monde et pour la répression des classes populaires et de la contestation, qu’il s’agit pour Macron de préserver ne leur appliquant qu’une attaque partielle.

Le gouvernement veut passer la réforme au plus vite : préparons-nous à le faire reculer !

Si Macron joue son avenir politique avec cette réforme, il sait qu’elle suscite un large rejet dans la population ; aussi l’objectif du gouvernement est de la faire passer au plus vite. Dès le 23 janvier, elle sera proposée au Conseil des ministres, via un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale, pour être discutée à l’Assemblée nationale à partir du 6 février. De la sorte, le gouvernement veut s’éviter de longs débats à l’Assemblée nationale, et conserver la possibilité d’utiliser le 49.3 ou la limitation du temps parlementaire prévue par l’article 47-1 de la Constitution, dont l’utilisation est illimitée pour les textes budgétaires.

Toujours dans le but de limiter la contestation, Elisabeth Borne a cherché lors de ces annonces à présenter sa réforme comme le fruit d’un compromis. Elle a ainsi multiplié les allusions aux Républicains, sur lesquels elle compte pour voter la loi au Parlement, et repris quelques-unes de leurs propositions, notamment sur la retraite minimale, qui s’appliquera rétroactivement aux actuels retraités. Afin de sortir de son isolement, le gouvernement a aussi cherché avec ces nouvelles propositions à calmer l’opposition de la CFDT, le principal syndicat réformiste, qui avait soutenu la réforme des retraites de Macron en 2019, sans y parvenir pour l’instant.

En effet, ces fausses promesses peinent à masquer la réalité de la réforme, marquée par le report de l’âge à 64 ans. Alors que le gouvernement est déterminé à agir vite et fort, le temps presse de construire un plan de bataille pour le faire reculer. Contre cette attaque d’ampleur contre le monde du travail, il faut se saisir de la première journée de grève interprofessionnelle fixée au 19 janvier pour construire la mobilisation et amener à la reconduction de la grève.

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