19 Mai 2023
Le gouvernement a annoncé la suppression de 80 filières du tertiaire dans les lycées professionnels, d’ici septembre. Ces annonces à quatre mois de la rentrée ont semé l’inquiétude dans le corps enseignant et chez les parents d’élèves. Deux dates de mobilisation syndicale sont prévues fin mai et début juin, tandis que des enseignants décrivent une réforme « violente sur le fond comme sur la forme ».
« Certains collègues développent des insomnies, sont inquiets. La colère et la résignation s’entremêlent », décrit Mathilde, enseignante au lycée professionnel Théodore Monod de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Environ 60 de ses collègues, sur une équipe de 90, participent à des AG et des blocages sont organisés depuis le début de la semaine. Une réaction aux dernières annonces gouvernementales, dans le cadre de la réforme du lycée professionnel.
Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a affirmé, le 5 mai sur FranceInfo, que 80 filières du tertiaire – vente, accueil, gestion-administration… – seront supprimées dans les lycées professionnels dès la rentrée de septembre. Des suppressions justifiées par un besoin de « réindustrialisation du pays ». À la place, 150 filières dites « porteuses d’emploi » – chaudronnerie, génie thermique, photonique, mobilités douces… – seront ouvertes.
Ces annonces tombent à quatre mois de la rentrée. Or, l’évolution de la carte des formations a déjà été actée, comme il se doit, par les CSA (comités sociaux administratifs) des rectorats, au niveau des académies donc, fin 2022. « En ce moment, on prépare plutôt la rentrée 2024 ! », rappelle Mathilde.
Conséquence : sur les réseaux sociaux et les groupes de discussions entre enseignants, la perplexité règne depuis quelques jours. Quelles filières sont concernées ? La sienne ? Si oui, où aller en septembre ?
Cet état de confusion a été aggravé par les indications de la plateforme gouvernementale Inserjeunes, dédiée à l’orientation en voie professionnelle. Le site notifie plusieurs filières comme étant « fermées », ont relevé des enseignants.
Faisons le point. « En fait, ce sont les annonces d’Emmanuel Macron, renchéries par Pap Ndiaye, qui ont semé ce vent de panique. De toute évidence, la carte des formations pour la rentrée prochaine est déjà arrêtée dans les rectorats. Pour septembre, les choses ne devraient donc pas se dégrader plus que ce qui était déjà annoncé », tempère Catherine Prinz, secrétaire nationale de la CGT Educ’action en charge des lycées professionnels.
« Les premières remontées que l’on a des régions indiquent que rien ne sera modifié à la rentrée 2023 par rapport à ce qui était prévu », confirme Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU. « Il y a un décalage entre la communication gouvernementale et la réalité sur le terrain ». Quant au site Inserjeunes, pas de panique à avoir non plus selon lui : « des formations sont indiquées comme fermées simplement parce que l’intitulé du diplôme change de nom ».
Contacté, le ministère de l’Education nationale confirme qu’ « il n’y a pas de fermeture nouvelle et imprévue. Les fermetures dont il est fait état ont été décidées suivant le processus habituel de transformation de la carte des formations. Les chefs d’établissements et les enseignants concernés sont déjà informés depuis des mois. »
Le chiffre de 80 recouvre des fermetures de formations dans leur ensemble ; mais aussi « des places en formation fermées car non remplies ou une diminution du nombre de places ouvertes dans une formation », précise le ministère.
La CGT Educ’action appelle à une journée de grève le 30 mai. Le syndicat a demandé la semaine dernière des éclaircissements au ministère suite aux annonces, sans réponse pour le moment. Côté réunions entre les organisations syndicales et le ministère, rien n’est prévu sur le sujet. Le 6 juin, c’est en intersyndicale que celles-ci appellent à des rassemblements.
En attendant, les conséquences de cette communication sont réelles. « Nous avons déjà des familles qui, face à l’incertitude qui plane quant à certaines filières, nous disent : on ne choisira pas le tertiaire pour notre enfant », rapporte Mathilde. Ceux-ci sont en effet en pleine période de remplissage des vœux d’orientation.
Côté enseignants, « cette panique est normale : il n’y a eu aucune concertation réelle avec le cabinet de Carole Grandjean [ministre déléguée à l’enseignement et la formation professionnels, ndlr]. Et les annonces sont d’une violence forte, surtout quand on fait comprendre aux collègues qu’il va falloir aller travailler ailleurs », analyse Axel Benoist. Si la rentrée 2023 demeure comme prévu au niveau des filières, « à la rentrée 2024, il y aura des évolutions assez fortes », alerte le responsable syndical. La réforme prévoit en effet la révision de la carte des formations chaque année.
Objectif affiché dans le dossier de presse du ministère : que « toutes les formations non insérantes soient fermées pour la rentrée 2026 ». Année après année, la réévaluation de la carte des formations sera ainsi basée sur l’analyse des besoins locaux en matière d’emploi. Car Pap Ndiaye l’assume, au micro de FranceInfo : les lycées professionnels doivent « répondre aux besoins de l’économie ».
Un service numérique de pilotage, Orion, est en cours de développement. Il vise à centraliser des données sur le taux d’insertion professionnelle, l’obtention de diplômes, la poursuite d’études… « Tous les acteurs concernés par l’évolution des formations y auront accès pour mieux préparer la rentrée scolaire 2024 », promet l’équipe en charge du service.
« Dire qu’il y a des filières non-insérantes, c’est forcer les jeunes à une orientation plus subie que choisie », regrette Catherine Prinz de la CGT Educ’action. La responsable syndicale reconnaît la nécessité de trouver un emploi, pour ceux qui ne souhaitent pas poursuivre en BTS, mais elle juge le pilotage de la carte des formations « déconnecté, hors sol ». « Le tissu économique de la France, ce sont les TPE-PME. Or, c’est plutôt le MEDEF qui a la main : Macron veut remplir son objectif de plein emploi pour 2027. En oubliant que certains métiers sont en tension non pas parce qu’il n’y a pas de formation mais parce que les conditions de travail y sont dégradées, les salaires bas, les temps partiels imposés », complète-t-elle.
Quid des enseignants des filières du tertiaire dans le viseur ? Ou plutôt des enseignantes, puisque nombre d’entre elles, à l’image des élèves d’ailleurs, sont des femmes ? Sur FranceInfo, le ministre a été jusqu’à leur suggérer de « se diriger vers le professorat des écoles, vers les collèges. Les transferts, c’est quelque chose que nous allons encourager ».
Ces propos font vivement réagir. « Une prof de gestion-administration n’est pas convertible en un claquement de doigts en professeure des écoles ! Ce ne sont pas du tout les mêmes métiers, les publics sont différents, les enseignements aussi… C’est une ineptie totale », juge Catherine Prinz de la CGT Educ’action.
Autres propositions : l’animation des « bureaux des entreprises » qui doivent être ouverts dans les lycées professionnels dans le cadre de la réforme ; ou des formations en demi-groupes. « C’est à mettre en perspective avec une refondation plus large de l’Éducation nationale, face aux difficultés de recrutement », décrypte Mathilde, l’enseignante de Noisy-le-Sec. « C’est un vaste plan social qui ne dit pas son nom. On va utiliser les professeurs de lycées pro pour aller en école primaire ou dans les collèges, là où l’on a du mal à remplir », conclue-t-elle.