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GENOCIDE A GAZA !

Gaza : Pour Francesca Albanese « Le risque d’un génocide perpétré par Israël à Gaza est sérieux »

Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese tire depuis des années la sonnette d’alarme, ce qui lui a valu beaucoup d’attaques de la part des défenseurs d’Israël.

Francesca Albanese est italienne, juriste et chercheuse, spécialisée en droit international. Le 1er mai 2022, elle a été nommée rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés depuis 1967, pour un mandat de trois ans. Dans son premier rapport, publié en septembre 2022, elle recommandait que les États membres de l’ONU élaborent « un plan pour mettre fin à l’occupation coloniale israélienne et au régime d’apartheid ».
Elle a été immédiatement l’objet d’une campagne hostile l’accusant d’antisémitisme. En décembre 2022, 65 spécialistes de l’antisémitisme, de l’Holocauste et des études juives ont dénoncé des attaques « visant à la réduire au silence et à saper son mandat ». Francesca Alabanese ne désarme pas et est très active pour dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme en Palestine depuis le 7 octobre.


Le mot génocide est de plus en plus utilisé pour caractériser ce qu’Israël est en train de commettre dans la bande de Gaza. L’Afrique du Sud a saisi le 29 décembre la cour internationale de Justice d’une requête visant à établir que Tel-Aviv veut la destruction des Palestiniens de Gaza. Peut-on vraiment utiliser le terme de génocide ?

Une trentaine de rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont évoqué le risque très grave, puis la possibilité qu’il y ait vraiment un génocide qui se déroule dans la bande de Gaza. Ils n’ont pas parlé de cette question de manière légère, vous imaginez bien. La loi internationale est capable de faire la distinction entre le fait qu’il y a un risque de génocide ou qu’il y a génocide. Dans les deux cas, des mesures doivent être prises.
Selon la convention de l’ONU, le génocide se définit comme étant un certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Et cela peut être réalisé de plusieurs façons : le meurtre de membres du groupe, des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle…
S’il y a un risque de génocide, les États ont alors l’obligation d’intervenir. L’intention de génocide est un élément constant, mais il n’est pas suffisant. Et ici, nous pouvons dire que oui, il y a des intentions de génocide, des décisions de génocide des Israéliens et du Hamas. Cela ne veut pas dire que les deux peuvent commettre un génocide. Le juge regarde aussi la capacité à mettre en œuvre cette volonté supposée et la réalité sur le terrain.
À Gaza, il s’agit de bombardements massifs qui ont déjà tué au moins 19 000 personnes, dont 60 % sont des femmes et des enfants. Je ne suis pas juge, mais il y a un risque sérieux que les actes d’Israël relèvent d’un génocide. Et cela est suffisant pour imposer un cessez-le-feu.

Est-ce que l’on peut considérer qu’il existe des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par Israël et le Hamas ?
Oui, sans aucun doute. Les crimes de guerre sont, comme leur nom l’indique, commis dans le contexte des hostilités. Il n’y a pas besoin d’intentions spécifiques. C’est le fait que soit perpétré, par exemple, un massacre de civils, une destruction de propriété ou d’objets protégés. En ce qui concerne les crimes contre l’humanité, ils peuvent être commis en dehors d’un conflit. Mais ces crimes sont qualifiés ainsi quand il y a une attaque systémique contre la population civile. Et puis il y a le génocide, qui, comme je l’ai dit, a une intention spécifique.
C’est le crime le plus difficile à prouver. Donc il n’y a pas de doute sur le fait qu’Israël et le Hamas ont commis des crimes de guerre. Ce que le Hamas a fait peut aussi s’apparenter à des crimes contre l’humanité, si les preuves collectées démontrent qu’il y a une attaque systémique et large contre des groupes de civils. Et vu le nombre de civils tués, cette qualification est possible.
On peut aussi dire qu’Israël a commis des crimes contre l’humanité. C’est évident. Le blocus mis en place par Israël depuis 2007 contre la bande de Gaza est déjà un crime de guerre. Et, selon moi, un crime contre l’humanité. Le renforcement du blocus peut conduire à affamer les populations intentionnellement. La destruction des hôpitaux alors que la bande de Gaza est bombardée peut être aussi considérée comme un crime contre l’humanité. Il doit y avoir une investigation.

Vous dites que le blocus de la bande de Gaza depuis dix-sept ans pourrait être vu comme un crime de guerre, mais ni la Cour internationale de justice (CIJ) ni la Cour pénale internationale (CPI) n’ont entrepris quelque chose. Comment l’expliquer ?
La CIJ ne peut pas agir de sa propre initiative. Elle doit être activée par un État membre et j’espère que cela sera fait concernant Israël, même en cas d’arrêt des opérations. La situation est sans précédent, les gens de Gaza ne peuvent vraiment pas imaginer de lendemain. En ce qui concerne la Cour pénale internationale (CPI), plus tôt elle lancera des mandats d’arrêt, mieux ce sera, parce que les investigations ont aussi une fonction de dissuasion, selon le Statut de Rome.
Il faut noter que le procureur général de la CPI, Karim Khan, est allé en Israël, mais pas à Gaza. Seulement en Cisjordanie, et dans un environnement très sensible et critique, car, s’il a rendu hommage aux victimes israéliennes, il n’a pas évoqué les victimes palestiniennes, ce qui a beaucoup choqué la société civile. Au-delà de ça, qu’attend la CPI pour délivrer des mandats d’arrêt, que ce soit contre les dirigeants israéliens ou ceux du Hamas ? Il peut le faire à partir de ce qui s’est passé depuis le 7 octobre. Et il aurait pu le faire avant : les Palestiniens ont déjà saisi la CPI en 2014, et il ne s’est rien passé jusqu’en 2021.

Que faire ?
En invoquant l’article 99 (alerte du Conseil de sécurité, NDLR), le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a suscité beaucoup de respect de la part des trente rapporteurs spécialisés. C’était la chose à faire. Et nous avons pris la liberté d’ajouter des propositions, notamment la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages, mais également celle de tous les Palestiniens détenus arbitrairement en Israël. Ils sont des milliers à avoir été arrêtés depuis le 7 octobre et 1 400 sont en détention administrative, sans jugement.
Nous pensons également que le déploiement d’une présence internationale dans les territoires palestiniens occupés est nécessaire. Il n’est pas possible, après toute cette violence, qu’Israël continue à occuper Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Toutes les personnes qui ont besoin de sortir de Gaza doivent pouvoir le faire avec l’assurance qu’ils pourront y revenir quand ils le voudront. Et puis il faut que la justice se fasse sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide.

Vous-même, depuis votre nomination, vous avez été attaquée par des organisations qui soutiennent la politique israélienne et même par la mission israélienne pour l’ONU à Genève. Comment réagissez-vous ? Est-ce que cela affecte votre travail ?
Cela a des conséquences à la marge. Un important journal français a, par exemple, réalisé une interview de moi puis a refusé de la publier car ma personnalité serait controversée. Pourquoi suis-je controversée ? J’ai produit des rapports qui n’ont pas été remis en cause. Dans le premier que j’ai rédigé, un passage n’a visiblement pas été apprécié. Je disais reconnaître les liens historiques de la communauté juive à la terre, mais que ce n’était pas suffisant.
On m’a accusé de passer outre l’histoire, de ne pas reconnaître l’indigénéité de la communauté juive. Ce sont les seules critiques factuelles qui ont été faites sur mes rapports. Tous ceux sur la détention des Palestiniens sont solides. J’y explique pourquoi la plupart des cas d’arrestations et de détention en Palestine, dans le territoire palestinien, sont arbitraires. Cumulé, cela représente près d’un million de personnes, ce qui n’excuse en rien les crimes commis par des Palestiniens. Est-ce que ce rapport a été attaqué ? Non. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas été suffisamment lu.

Qu’est-ce qui vous conduit à continuer votre travail aujourd’hui ?
Je serai très heureuse, un jour, de prendre un peu de repos et de savourer ma vie privée. Mais je ne peux pas. Parce que même quand je fais autre chose, je pense aux Palestiniens et aux Israéliens. Cela devient quelque chose de personnel. En travaillant sur un dossier pendant presque vingt ans, vous développez des amitiés, que ce soit en Palestine, dans le territoire palestinien occupé, ou en Israël. C’est très douloureux pour moi. Dans chaque geste de ma vie, je pense à ce qui se passe pour les gens de Gaza, en temps réel. Depuis que nous avons commencé cette interview, plus d’une dizaine de personnes ont sans doute été tuées…

Pierre Barbancey
L'Humanité du 02 janvier 2024

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